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1 février 2024

Lilliam Arrieta, directrice pour Avocats sans frontières Canada, au Salvador

*Avertissement: ce texte comporte des thèmes au potentiel sensible ou traumatisant.

 

Le plus petit pays d’Amérique centrale est en période électorale: le 4 février, l’électorat élira la présidence, la vice-présidence ainsi que les membres de l’Assemblée législative alors que le pays est en état d’urgence depuis mars 2022 pour lutter contre les gangs armés. Avocats sans frontières Canada (ASFC) fait le point sur la situation avec sa directrice au Salvador, Lilliam Arrieta.

 

Il est petit mais majestueux: le Salvador déploie des montagnes impressionnantes, des volcans qui grondent, une faune et une flore exceptionnelles, une côte ouest qui donne sur le Pacifique, un peuple accueillant et les meilleurs pupusas (petites crêpes de maïs farcies). Le Salvador a aussi un côté plus sombre.

 

«Je ne sais pas si c’est parce que nous avons vécu plusieurs guerres, mais le Salvador est un pays très violent, nous dit la directrice pays d’ASFC, Lilliam Arrieta. C’est un pays où nous avons eu pendant longtemps les taux d’homicides et de féminicides les plus élevés au monde.»

 

En mars 2022, une autre vague d’homicides provoque l’indignation de la population.

 

«En l’espace d’un week-end, il y a eu plus de 80 morts. Des crimes apparemment commis par des gangs. La solution de l’État a été de décréter l’état d’urgence, une situation juridique votée par l’Assemblée législative et qui permet de suspendre certains droits fondamentaux, comme le droit d’association et certaines garanties judiciaires, comme le droit d’être présenté devant un juge au maximum 72 heures après une arrestation», nous explique la directrice d’ASFC au Salvador. Conséquences: plus de 71 000 personnes ont été incarcérées, selon l’organisation de droits humains Cristosal, souvent sans une procédure judiciaire équitable.1

 

Des violations de droits humains à grande échelle

 

En temps normal, les États doivent respecter les normes internationales, les institutions démocratiques et les droits fondamentaux des citoyen.ne.s enchâssés dans leur constitution. Lorsqu’un danger public exceptionnel menace la nation, les États peuvent voter des lois qui leur donnent des pouvoirs juridiques accrus et suspendent temporairement certains droits en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Toutefois, toute restriction doit être strictement nécessaire pour atteindre l’objectif visé, proportionnelle et non discriminatoire.2

 

De plus, un État ne peut suspendre l’exercice du droit à la vie, l’interdiction de l’esclavage et de la servitude, le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants et le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion.3

 

La Constitution du Salvador établit que l’état d’urgence est une mesure exceptionnelle qui peut être décidée par l’Assemblée législative en cas de guerre, invasion du territoire, catastrophes, épidémies ou d’autres graves perturbations à l’ordre public. Toutefois, le régime juridique d’exception au Salvador, d’une durée maximum de 30 jours, a été renouvelé plus de vingt fois depuis mars 2022. De plus, cet état d’urgence a provoqué des violations de droits humains et un climat d’impunité grandissant. Avocats sans frontières Canada, tout comme d’autres organisations internationales4, constate que les détentions arbitraires sont nombreuses. Lorsque certains droits fondamentaux sont suspendus, les risques pour les personnes en situation de vulnérabilité sont plus élevés.

 

«Les femmes subissent non seulement la violence étatique, comme la détention illégale et arbitraire, mais elles subissent aussi des violences sexuelles de la part des agent.e.s de l’État ou des forces de l’ordre, explique Lilliam. À la fin de 2023, on a vu une recrudescence des viols de filles et de femmes par les forces armées ou les forces policières.»

 

Des solutions à long terme

 

Le cycle de la violence se poursuit donc au Salvador. Comment y mettre fin?

 

«En obtenant justice et en protégeant les droits humains, affirme Lilliam avec conviction. Il faut trouver des solutions durables.»

 

Avocats sans frontières Canada appuie des cas emblématiques devant les tribunaux pour obtenir des changements à long terme.

 

Un dossier de droits humains est considéré comme emblématique lorsqu’il a le potentiel d’avoir un impact sur le droit interne ou international et lorsqu’il permet de mettre à l’épreuve les structures juridiques existantes et de produire des précédents jurisprudentiels importants qui aideront à faire avancer les droits humains. Quelques questions clés permettent de déterminer le caractère stratégique d’un cas: la victime est-elle une personne en situation de vulnérabilité? Les présumé.e.s auteur.e.s des crimes bénéficient-ils d’un statut social privilégié? La problématique juridique est-elle liée à un problème social plus large?

 

Au Salvador, ASFC accompagne les acteur.trice.s de la justice dans de tels cas emblématiques. L’un de ces cas concerne un homme accusé d’avoir tué sa conjointe et abandonné leur enfant de moins de 2 ans dans un champ. Des accusations ont été déposées, mais l’homme a fui le pays pour échapper à la justice et les procédures judiciaires ont piétiné pendant des mois. ASFC a donc travaillé avec une organisation partenaire, la Colectiva Feminista, qui représente les victimes. En plus de l’accompagnement technique, la présence d’une organisation non gouvernementale internationale comme ASFC permet d’envoyer un message au système judiciaire: ce procès est important, il doit se dérouler dans les règles et les féminicides doivent être sanctionnés. Finalement, l’audience d’instruction a eu lieu, après avoir été suspendue d’office par la juge, pendant 6 occasions.

 

«J’y ai participé, se rappelle Lilliam. Cela a duré de 8 heures du matin à 6 heures du soir. Je crois que c’est une des choses les plus difficiles que j’ai faites dans ma vie. C’était très dur. Mais nous avons contribué à l’avancement de ce cas.»

 

Lutter contre le harcèlement dans les universités

 

ASFC travaille aussi très fort pour dénoncer le harcèlement sexuel dans les universités. «C’est un problème endémique au Salvador, nous dit Lilliam. Malgré l’adoption de la Loi spéciale pour une vie libre de violence pour les femmes qui exige des établissements scolaires qu’ils adoptent une procédure pour recevoir et traiter les plaintes, peu de plaintes sont déposées et des membres du corps professoral se permettent même de harceler les élèves en classe.»

 

ASFC a fait une campagne pour dénoncer ce phénomène et a soutenu le cabinet de Me Oswaldo Feusier.

 

«Dans un cas emblématique, nous avons réussi à obtenir justice pour une étudiante, souligne fièrement la directrice d’ASFC au Salvador. Ce que nous cherchons à faire avec un tel cas, c’est qu’il y ait plus de personnes qui dénoncent ces crimes. Que les victimes sachent qu’elles seront accompagnées. En espérant que cela aura un effet dissuasif sur les agresseurs.»

 

Ainsi, Avocats sans frontières Canada espère contribuer à mettre fin au cycle d’impunité et de violence qui sévit au Salvador. En travaillant pour améliorer l’accès à la justice des victimes de violences basées sur le genre.

 

Vous pouvez regarder l’entrevue en entier avec la directrice d’Avocats sans frontières Canada au Salvador, Lilliam Arrieta.

 

 

 

 

 

1 EDH (2023). “Más de 71,000 personas detenidas bajo régimen de excepción, que lleva 16 prórrogas”, 12.07.2023 [En ligne]  https://www.elsalvador.com/noticias/nacional/mas-de-71-mil-presos-a-16-meses-regimen-excepcion/1075304/2023/

 

2 Principes de Syracuse concernant les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui autorisent des restrictions ou des dérogations, E/CM.4/1985/4, 28 septembre 1984; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale no 14 (2000) Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), E/C.12/2000/4, 11 août 2000, par. 28-29.

 

3 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 4 (2). Dans l’Observation générale no 29 (États d’urgence (art. 4)), le Comité des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies mentionne d’autres droits auxquels un État ne peut déroger lors d’un état d’urgence. La Convention américaine des droits de l’homme protège davantage de droits (art. 27(2)).

 

4 Amnistie Internationale, Page pays, Rapport 2022-2023, [En ligne]: https://www.amnesty.org/fr/location/americas/central-america-and-the-caribbean/el-salvador/

Human Rights Watch, World Report 2023, [En ligne]: https://www.hrw.org/world-report/2023/country-chapters/el-salvador