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6 mai 2020

Aliénor Évreux

Conseillère juridique volontaire

 

«[Toute] privation de liberté, même justifiée par la nécessité d’enquêter sur un crime ou de punir un condamné, risque de porter atteinte à la dignité humaine puisqu’elle restreint considérablement l’autonomie des personnes et place les détenus en situation d’impuissance».1

 

Comme le développe le rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la privation de liberté d’un être humain n’est pas une décision anodine et le respect des droits humains dans ce cadre est un défi d’autant plus grand alors que le nombre de détenus dans le monde n’a cessé d’augmenter au cours des quinze dernières années. Rien qu’au Honduras, entre 2012 et 2018, le nombre total de personnes privées de liberté est passé de 11 727 à 20 356.

 

Cependant, parmi ces milliers de personnes privées de liberté, nombre d’entre elles n’ont pas encore fait l’objet d’une décision d’un tribunal sur leur culpabilité. Comme le démontre le tableau suivant, il existe une part significative et alarmante de personnes inculpées en détention au Honduras, dans l’attente d’un jugement :

 

 

Source: Commission IDH, Rapport pays, Situation des droits humains au Honduras, 27 août 2019.

 

À partir du moment où l’on considère que l’essence de la détention préventive réside dans sa nature exceptionnelle et temporaire, ces chiffres apparaissent comme le signe d’un système pénitentiaire « au bord du gouffre ». (2) Comme le dénote la Commission interaméricaine des droits de l’homme (« Commission IDH ») en 2013, malgré l’existence de standards internationaux et régionaux précis, il est difficile de faire de l’application du droit une réalité et « le recours non exceptionnel à la détention préventive [devient] l’un des problèmes les plus graves et les plus répandus auxquels sont confrontés les États membres de l’OEA » (3) à l’heure actuelle. Il est urgent de trouver des alternatives à la détention préventive et le Honduras semble aller à contre-courant sur cette question.

 

L’existence indéniable de standards internationaux et régionaux

 

Tout d’abord dans le cadre du système universel de protection des droits humains, les principes de présomption d’innocence, d’interdiction de la détention arbitraire, de délai raisonnable de jugement, et de caractère exceptionnel de la détention préventive prévalent. Des organes tels que le Comité des droits de l’homme ou encore le Groupe de Travail sur la détention arbitraire contrôlent alors leur mise en œuvre.

Ensuite au niveau du système interaméricain, outre les articles 7.3 et 8.2 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme qui régulent indirectement la détention préventive, la jurisprudence de la Cour interaméricaine a établi 5 principes fondamentaux en la matière. Cette dernière doit en effet être une mesure exceptionnelle, proportionnelle, nécessaire et ne doit être ni déterminée selon le type de délit ni selon la gravité du délit.

 

La mise en œuvre des standards internationaux et régionaux encore à la peine dans « les Amériques »

 

En 2017, la Commission IDH réitère ses préoccupations émises en 2013 et souligne que « l’application arbitraire et illégale de la détention préventive est un problème chronique dans la région ». (4)

 

Selon cette organe de l’Organisation des États américains, ce bilan préoccupant s’explique par :

 

– la tendance à utiliser la détention provisoire comme première alternative;

– les restrictions légales de diverses natures à l’application de mesures de précaution autres que la détention provisoire pour certaines infractions;

– la réticence des juges à ordonner de telles mesures, même lorsqu’elles sont prévues par la loi;

– la faiblesse institutionnelle et le manque d’indépendance des services de défense publique;

– les difficultés d’accès à la défense publique;

– les insuffisances du processus décisionnel préalable à l’application de la détention provisoire, notamment en ce qui concerne le droit à un procès équitable;

– l’absence de recours judiciaires effectifs contre la détention provisoire illégale ou arbitraire;

– l’application étendue de cette mesure aux personnes accusées d’infractions mineures;

– les pressions exercées sur les juges par les médias et d’autres organismes publics;

– les carences structurelles des systèmes judiciaires, en particulier les retards judiciaires;

– les politiques pénales de la « main de fer ». (5)

Bien que cet état des lieux ait été dressé de manière générale pour l’ensemble des pays américains, le Honduras peut néanmoins difficilement s’exonérer de sa responsabilité à la réalisation d’un tel bilan.

 

L’établissement de mesures alternatives à la prison préventive: un écran de fumée

 

Lorsque la détention provisoire n’est pas nécessaire, proportionnelle, ou exceptionnelle, elle devient alors illégale. Dans de tels cas, il existe une obligation légale de chaque État de trouver des alternatives à la prison (interdiction de quitter le territoire, obligation d’informer un juge de ses déplacements, interdiction de rentrer en contact avec certaines personnes ou de se rendre dans certains lieux, etc.). Ceci a pour but d’aider par exemple à la réduction des risques de désintégration sociale et de récidive en évitant d’exposer indûment des êtres humains à la violence physique, mais aussi mentale à travers l’emprisonnement. Or, aujourd’hui, divers pays ne s’y conforment pas et le Honduras est l’un d’entre eux.

 

Lors de sa visite au pays en 2019, la Commission IDH s’est déclarée préoccupée face aux hauts taux de surpopulation carcérale, au recours excessif à la détention préventive, à la création de prisons de très haute sécurité dites « mega cárceles » et au manque de sécurité alarmant face au niveau record de violence au pays. (6) En décembre dernier seulement, à Tela et au nord de Tegucigalpa, ont eu lieu deux massacres faisant un bilan de 37 morts.

 

À cela s’ajoute une violation explicite aux standards internationales applicables en matière de détention préventive au sein même de la législation hondurienne. En effet, l’article 184 du Code de procédure pénale prévoit une liste de 21 délits pour lesquels les mesures alternatives à la détention préventive sont inapplicables (Homicide, viol, crime organisé, trafic de drogues, blanchiment d’argent, extorsion, terrorisme, etc.). Or, il existe bel et bien un principe établi par la Cour interaméricaine, conformément à l’interprétation du droit à la liberté de la personne prévu à la Convention américaine relative aux droits de l’homme, selon lequel la détention préventive ne doit pas être une mesure déterminée selon le type ou la gravité du délit. (7) C’est pourquoi en 2019, la Commission IDH a recommandé à l’État hondurien d’abroger expressément cette disposition.

 

Cependant, 2020 a pointé son nez, l’article 184 est toujours en vigueur et 27 centres pénitentiaires honduriens ont vu se déployer près de 1200 militaires et policiers, en application d’un état d’urgence déclaré par le président Juan Orlando Hernández le 17 décembre 2019. C’est donc une affaire à suivre, dans ce pays où les droits humains ne cessent d’être malmenés, contournés et ouvertement violés.

 

De la même auteure

 

 

Sur l’auteure

 

Aliénor Évreux est conseillère juridique volontaire au Honduras au sein du projet Gouvernance, justice et lutte contre l’impunité au Honduras, avec le soutien financier d’Affaires mondiales Canada.

 

Références

 

1. ONU, Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Rapport d’activités, A/64/215, adopté le 3 août 2009, parr. 47.

2. Commission IDH, Rapport sur le recours à la détention préventive dans les Amériques, OEA/Ser.L/V/II. Doc. 46/13, 30 décembre 2013, parr. 69 y 96.

3. Ibid, parr. 1, 30, 317.

4. Commission IDH, Rapport sur les mesures visant à réduire le recours à la détention préventive dans les Amériques, OEA/Ser.L/V/II.163, Doc. 105, 3 juillet 2017, parr. 1.

5. Commission IDH, Rapport sur le recours à la détention préventive dans les Amériques, OEA/Ser.L/V/II. Doc. 46/13, 30 décembre 2013, parr. 50.

6. Commission IDH, Rapport pays, Situation des droits humains au Honduras, OEA/Ser.L/V/II. Doc. 146, 27 août 2019.

7. Voir l’article 7 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Dans la même sens, voir l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.