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2 septembre 2022

Le 24 juin dernier, dans la décision Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization, la Cour suprême des États-Unis renversait la décision Roe c. Wade, une décision qui assurait l’accès à l’avortement comme un droit constitutionnel en vertu du 14e amendement protégeant le droit à la vie, la liberté et la propriété des citoyen.ne.s.

 

Désormais, aux États-Unis ce sera chaque État qui aura le pouvoir de librement restreindre l’accès à ces services, voire même les interdire en toutes circonstances. Les effets se font déjà ressentir alors que le Missouri est devenu le premier État à officiellement bannir l’accès à l’avortement et que les cliniques se ferment au Dakota du Sud et en Géorgie. Des milliers de personnes enceintes devront dès lors chercher à se faire avorter de manière clandestine ou devront voyager dans les États où l’accès restera permis. Ces mesures affecteront en premier lieu celles et ceux en situation de vulnérabilité ou de marginalisation qui n’ont souvent ni les ressources ni les moyens pour effectuer de tels déplacements.

 

En signant la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), les États-Unis ont pourtant l’obligation de s’abstenir de bonne foi de commettre des actes contraires au but de ces traités. Nier le droit à l’accès à l’avortement a été reconnu par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (Comité de la CEDEF) comme une violation du droit à la santé, protégé par l’article 12 de la CEDEF. De plus, le Comité des droits de l’Homme a jugé que de telles restrictions affectaient l’intégrité physique et psychologique des femmes enceintes, allant ainsi à l’encontre de leur droit à la vie privée en vertu de l’article 17(1) du PIDCP. Les conséquences directes de cette décision de la Cour suprême des É-U sont d’autant plus préoccupantes alors que Comité de la CEDEF, et le Rapporteur spécial sur la torture, M. Juan E. Méndez, jugent que d’interdire l’accès à ce service de santé constitue une violence basée sur le genre pouvant même, dans certaines circonstances, constituer de la torture ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

 

Bien que le droit international reconnaisse le droit aux États de légiférer quant à l’accès aux services d’avortement, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels  a indiqué qu’en vertu de leur obligation d’éliminer la discrimination, les États étaient tenus de s’attaquer aux lois restrictives en matière d’avortement. Plusieurs organes conventionnels de l’ONU ont également souligné que ce droit de légiférer ne pouvait en aucun temps restreindre l’accès à l’avortement en cas  cas de viol ou d’inceste, lorsque la vie de la personne enceinte est en danger ou lorsque le fœtus souffre de graves anomalies. Ainsi, les États qui ont passé ou décideront de passer des lois interdisant l’accès à l’avortement en toutes circonstances, sont et seront clairement en violation des standards internationaux relatifs aux droits sexuels et reproductifs.

 

Face aux obstacles: ASFC et ses partenaires en action

 

En plus de ne pas respecter les droits fondamentaux et les standards internationaux en la matière, la décision Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization de la Cour suprême des États-Unis nous rappelle, encore une fois, que l’accès à l’avortement est un droit qui est loin d’être acquis. Nous ne sommes jamais à l’abri de le perdre, même lorsqu’il a été légalisé ou, du moins, non-criminalisé.

C’est ce que nous constatons en Colombie où, le 21 février 2022, la Cour constitutionnelle légalisait l’avortement jusqu’à la 24e semaine de gestation et ce, peu importe la raison. Cependant, comme le soulignent nos collègues d’ASFC à Bogotá, les risques de voir ce droit reculer à nouveau sont bien réels alors que le ministère de l’Intérieur a récemment demandé à la Cour de résoudre les nombreux recours déposés contre cette décision, le dernier demandant son annulation.

 

C’est à la lumière de ces développements récents que nous désirons prendre un moment pour souligner le travail remarquable de celles et ceux qui veulent protéger et faire avancer les droits sexuels et reproductifs dans leur pays. Parmi elles et eux, des collègues d’ASFC et des organisations partenaires dans nos pays d’intervention.

 

Nous saluons ainsi la proactivité de nos collègues et partenaires au Honduras qui ont immédiatement réagi pour contester la réforme constitutionnelle du Congrès visant à renforcer l’interdiction de l’avortement en présentant un recours constitutionnel contre la criminalisation totale de l’avortement. Ce recours, présentement sous examen par un tribunal hondurien, représenterait s’il est accueilli une pas historique dans l’un des cinq pays en Amérique latine où l’avortement est criminalisé en toutes circonstances et où les pilules contraceptives d’urgence sont interdites. ASFC et ses partenaires apportent également une assistance technique aux avocat.e.s défendant les droits sexuels et reproductifs. Ce fut notamment le cas dans l’affaire Sara, accusée du « crime d’avortement » et passible de trois à six ans d’emprisonnement. Heureusement, lors de l’audience initiale en 2018, la Cour a reconnu que Sara avait agi sous pression et sous l’effet de la peur, et les charges pesant conte elle ont été retirées.

 

Au Guatemala, si la Loi pour la protection et la vie de la famille devait devenir effective, la peine d’emprisonnement en cas d’avortement passerait de 3 à 10 ans. Malgré cette tangence inquiétante, nos collègues et partenaires n’ont pas hésité à saisir les tribunaux afin d’assurer l’accès à un avortement thérapeutique et sécuritaire lorsque la vie de la femme enceinte est en danger. Nos collègues et partenaires cherchent notamment à protéger l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive pour tou.te.s, incluant les personnes en situation de handicap, alors que la loi guatémaltèque discrimine ces personnes en ne reconnaissant pas leur capacité juridique, incluant leur droit de fonder une famille, et ce malgré les préoccupations exprimées par le Comité des droits des personnes handicapées en 2016.

 

Au Salvador, bien que l’avortement soit également pénalisé en toutes circonstances, la Cour interaméricaine des droits humains (CIDH) est devenue le premier tribunal international en 2021 à souligner les obstacles auxquels les femmes sont confrontées pour accéder aux services de santé reproductive dans l’affaire Manuela. Le tribunal a reconnu que les urgences obstétriques, incluant les avortements spontanés, ne pouvaient pas automatiquement mener à des sanctions pénales puisque de telles urgences constituent un enjeu de santé nécessitant des services médicaux appropriés. Dans le cadre de cette affaire, ASFC a déposé un argumentaire juridique (amicus curiae) afin de démontrer les effets de l’intersectionnalité sur la justice et mettre en lumière les diverses formes d’oppression que peuvent subir les femmes. Alors que la CIDH a ordonné au Salvador, entre autres choses, de reconnaître publiquement sa responsabilité internationale, notre équipe soutien la mise en œuvre de la décision en ce qui a trait au respect du secret médical professionnel, la confidentialité des dossiers médicaux et l’élaboration d’un protocole d’action pour l’accompagnement par le personnel de santé des femmes ayant des urgences obstétriques et nécessitant des soins d’urgence.

 

Du côté de l’Afrique de l’ouest, nous nous réjouissons des progrès au Bénin qui a récemment élargi l’accès à l’avortement dans les cas où la grossesse est susceptible d’affecter l’éducation ou la carrière de la femme enceinte, en plus d’être légal jusqu’à la 12e semaine dans les cas où la vie de la mère est en danger, en cas de malformation fœtale, de viol ou d’inceste. Il sera maintenant du devoir de l’État et du personnel de la santé de s’assurer de la mise en œuvre adéquate de cette loi afin que les droits en matière de santé sexuelle et reproductive des femmes et des adolescentes soient effectivement respectés et appliqués. Nous comptons également sur nos collègues et partenaires pour soutenir les femmes et les adolescentes dans la promotion et la protection de leurs droits sexuels et reproductifs, à travers notamment le renforcement de l’accès à des services d’aide juridique et d’assistance judiciaire et des activités de plaidoyer auprès des institutions nationales, régionales et internationales.

 

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« Quand les toiles des araignées s’unissent elles peuvent ligoter un lion. »

 

C’est à ce proverbe éthiopien que nous pensons lorsque nous constatons les multiples initiatives menées de front par nos collègues et partenaires pour faire en sorte que les standards internationaux relatifs aux droits sexuels et reproductifs de tou.te.s soient effectivement respectés. Bien que la résistance rencontrée puisse déstabiliser, voire même décourager par moment, cette idée que nous travaillons tou.te.s ensemble dans des contextes différents, mais vers un but commun, ne peut que nous inspirer à poursuivre nos actions.