• Blogues

6 novembre 2020

Par Floriane Basile

Conseillère juridique volontaire

 

Aujourd’hui, devant la Cour interaméricaine des droits de l’Homme (Cour IDH), le cas Vicky Hernandez comporte des enjeux de taille.

 

Jamais la Cour IDH n’a traité d’exécution extrajudiciaire d’une personne appartenant à la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, trans et intersexelle (LGBTI), d’une femme trans défenseure des droits humains, d’une travailleuse du sexe et d’une personne LGBTI mettant en cause la responsabilité de l’État du Honduras.

 

Le cas Vicky Hernandez, c’est le récit d’une organisation lesbienne féministe qui travaille en faveur des droits des personnes LGBTI au niveau régional, mais aussi à la reconnaissance de violations des droits humains s’étant déroulées lors du coup d’État de 2009 au Honduras.

 

 

Cattrachas présentant le cas Vicky à la première rencontre de “La Red de los litigantes LGBT de las Américas”.

Reconnaissance de la responsabilité de l’État du Honduras par la CIDH

 

L’un des inconvénients du SIDH est qu’il faut s’armer de patience avant d’avoir des résultats, notamment ces dernières années en raison d’un niveau de sollicitation très élevé. En 2018, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) a publié son rapport très attendu sur le fond, (1) où elle reconnaît l’État hondurien comme étant responsable de plusieurs violations de droits de la convention américaine relative aux droits de l’homme (CADH), dont:

 

– le droit à la vie (article 4);

– le droit à l’intégrité personnelle (article 5);

– le droit à la protection de l’honneur et de la dignité (article 11);

– le droit au respect des garanties judiciaires et protection judiciaire (article 8 et 25);

– le droit à la liberté d’expression (article 13);

– le droit à l’égalité et la non-discrimination (article 24).

 

La Commission reconnaît également l’application de la Convention Belém Do Para pour prévenir, sanctionner et éradiquer la violence contre la femme, en affirmant la violation de l’article 7 de cette dernière.

 

L’État du Honduras n’ayant pas suivi les recommandations émises par la Commission, cette dernière a saisi la Cour IDH en mai 2019.

 

Dix ans de lutte contre l’impunité

 

Dans le contexte généralisé de violence et de discrimination contre les personnes LGBTI au Honduras, les mesures de réparations sollicitées par les organisations représentant les victimes visent une transformation globale du contexte actuel et la prévention d’autres violations.

 

Les dispositions prises en cas de jugement favorable ne rendront pas la vie à Vicky Hernandez, mais elles cherchent à alléger la douleur causée à sa famille et à s’assurer que l’État du Honduras prendra les mesures nécessaires afin que les faits ne se répètent plus.

 

Cette réparation pourrait prendre plusieurs formes : l’enquête, le jugement et la sanction des responsables, un soutien médical et psychosocial à la famille de Vicky Hernandez, l’organisation d’ateliers de sensibilisation dédiés aux forces de l’ordre traitant des personnes LGBTI, entre autres.

 

L’un des enjeux de ce cas repose également dans la reconnaissance essentielle d’une nouvelle infraction pénale, le transfemicide, définit comme:

 

«la mort violente d’une femme trans motivée par le préjudice ou la haine, la méprise et la discrimination basée sur l’identité de genre assumée de la victime, matérialisation d’un violence systématique qui s’illustre par l’exclusion sociale et étatique.»2

 

Cattrachas, [traduction libre]

 

De son côté, la CIDH a utilisé le terme de transfemicide pour la première fois dans son rapport sur le fond, en le définissant comme:

 

«un assassinat motivé par le préjudice ou la haine en raison de l’identité et l’expression de genre d’une femme trans, et donc d’un transfemicide.»3

 

CIDH, [traduction libre]

 

Ce cas permet également à la Cour IDH de traiter de l’implication directe et la responsabilité des agents de l’État dans les graves violations des droits humains survenus dans ce contexte. C’est dans ce même ordre d’idées que les représentantes des victimes ont sollicité la suspension des effets du Décret d’amnistie de 2010, qui avait provoqué une impunité pour les faits s’étant déroulés pendant la période du Coup d’État.

 

Un travail au-delà des frontières

 

Le travail de Cattrachas est de taille. En dehors de la préparation du cas au niveau juridique, leur équipe doit également mettre en œuvre d’importantes actions de plaidoyer et de communications. C’est de ce travail que l’idée de réaliser un documentaire sur le cheminement du cas a germé.

 

 

Atelier de sensibilisation aux étudiants de l’Universidad Nacional Autónoma de Honduras 

 

L’équipe de Cattrachas participe aussi à des espaces régionaux afin de présenter le litige en cours contre l’État du Honduras devant la Cour IDH et de partager ses enjeux.

 

La similarité des obstacles rencontrés par les personnes LGBTI dans d’autres pays d’Amérique latine et les instruments juridiques communs au niveau régional ont façonné l’organisation d’un réseau régional de juristes spécialisés. Ce réseau de juristes est né de la nécessité de trouver des alliés pour participer à l’avancement des droits des personnes LGBT. Grâce à mon travail aux côtés de Cattrachas, j’ai pu participer à la première semaine de rencontre de ce réseau régional à Bogota, en Colombie. Cela m’a fait réaliser l’ampleur que pourrait avoir une décision comme celle du cas de Vicky Hernandez.

 

Aujourd’hui, Cattrachas se prépare aux possibles effets de la décision sur la société hondurienne. Les projecteurs étant tournés vers la communauté LGBTI, cela pourrait générer une certaine hostilité et des risques accrus pour les personnes et les organisations LGBTI. De nouveaux défis pourraient également apparaître lors de la mise en application de la décision de la Cour IDH au niveau national, mais la Cour elle-même sera chargée du suivi de cette décision.

 

Chaque avancée amène une célébration mondiale pour les personnes LGBTI. Parier sur le litige stratégique dans un contexte régional parfois très conservateur comme le Honduras, où l’existence des personnes trans n’est toujours pas reconnue, est un défi risqué mais c’est celui que Cattrachas a décidé de prendre.

 

Sur l’auteure

 

Floriane Basile est conseillère juridique volontaire au sein du réseau lesbien féministe Cattrachas dans le cadre du projet « Justice, gouvernance et lutte contre l’impunité au Honduras », appuyé par le gouvernement du Canada par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

 

Références

 

1. CIDH. Rapport sur le fond No. 157/18. Caso 13.051. Vicky Hernandez y familia / Honduras.

2. Cattrachas, Informe Sobre Muertes Violentas de Mujeres Transexuales, Transgéneros o Travestis año 2009 Honduras. p.17

3. CIDH. Rapport sur le fond No. 157/18. Caso 13.051. Vicky Hernandez y familia / Honduras.