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5 décembre 2018

Par Liza Yelle

Conseillère juridique volontaire

 

Lorsque je suis arrivée à la Cour, le jeudi 29 novembre, une foule attendait déjà depuis des heures afin de pouvoir entrer dans la salle où allait être prononcée la décision dans le procès des huit premiers accusés pour l’assassinat de Berta Cáceres.

 

Toute comme lors de la première audience du 15 septembre 2018, tout le monde était présent. La Salle 1 du Tribunal de Sentencia con Competencia Nacional Territorial en Material Penal « était l’endroit le plus couru de la capitale […] Peu d’organisations civiles nationales avaient oublié d’envoyer leur représentant et plusieurs organisations internationales avaient répondu à l’appel d’accompagnement. Le monde diplomatique, connaissant bien l’importance de ce dossier pour la justice hondurienne, avait aussi envoyé des délégations. On pouvait remarquer la présence de l’ambassade du Canada, des États-Unis, de l’Union européenne et du Mexique, pour n’en nommer que quelques-unes. »

 

Étant donné l’engouement pour cette décision et le fait qu’il s’agit d’une petite salle qui ne compte qu’une quarantaine de places, les employés du tribunal ont décidé d’utiliser un système de coupons. Ils ont distribué des coupons aux observateurs qui s’étaient fréquemment présentés durant le procès de cinq semaines et ils ont réservé une quantité de coupons pour les victimes et les membres des familles des accusés afin de leur garantir une place dans la salle.

 

Tout au long des procédures judiciaires dans ce dossier, différentes parties intéressées ont fait des suggestions quant à la possibilité de diffusion du procès à un plus large auditoire, par exemple en procédant à son enregistrement ou à une transmission en direct. Devant le refus du tribunal de procéder ainsi, les victimes ont présenté un recours en amparo qui a été déclaré inadmissible. Toutefois, devant l’importance de la décision qui allait être rendue en ce 29 novembre, les employés du ministère de la Justice avaient installé une caméra dans la salle afin de la transmettre en direct sur les réseaux sociaux en plus d’installer des haut-parleurs dans le corridor à l’extérieur de la salle pour ceux qui n’avaient pu obtenir une place. On m’a cependant informée qu’en raison du bruit ambiant, il était très difficile d’entendre la décision par les haut-parleurs.

 

Au cours de l’audience, une mobilisation du COPINH a eu lieu devant le tribunal et un plus grand nombre de membres des corps policiers et militaires étaient présents à l’extérieur qu’à l’accoutumée. Les forces policières antiémeutes avaient aussi été mobilisées pour l’événement.

 

Décision du tribunal

 

Lorsque j’ai finalement pu entrer dans la salle grâce à mon coupon, je me suis assise à l’endroit que l’on m’a indiqué, dans la deuxième rangée devant les accusés. Devant moi était assise la fille de l’accusé Sergio Rodriguez Orellana et dans le siège juste derrière moi la mère de Berta Cáceres. Cette dernière ne voulait pas se rapprocher, car elle ne voulait pas voir de près les hommes qui auraient assassiné sa fille.

 

Le tribunal a d’abord exposé les faits qu’il reconnaissait comme prouvés hors de tout doute raisonnable et qui correspondent en très grande partie à la théorie de la cause du ministère public. Par la suite, il s’est prononcé sur la participation de chacun des accusés au crime.

 

– Le tribunal a déclaré que Sergio Rodriguez Orellana et d’autres cadres de l’entreprise DESA ont décidé de la coordination de l’assassinat de Berta Cáceres. Sergio Rodriguez Orellana faisait parvenir de l’information à l’entreprise sur les activités et la localisation de Berta Cáceres et du COPINH.

– La participation au crime de Douglas Geovanny Bustillo, ancien membre des forces armées et chef de sécurité de l’entreprise DESA jusqu’à juillet 2015, a aussi été reconnue.  À la demande de DESA il a participé à l’organisation de l’assassinat et a effectué des missions de reconnaissance et de surveillance.

– Mariano Diaz Chavez, major dans les forces armées, a aussi été reconnu coupable d’avoir collaboré à la commission du crime en assurant l’exécution des détails logistiques et en recrutant le militaire Henrry Javier Hernandez.

– Henrry Javier Hernandez, un militaire, a aussi été reconnu coupable du crime. Il a recruté les trois autres tueurs à gages avec qui il a commis l’assassinat : Elvin Rapalo Orellana, Oscar Torres Velasquez et Edilson Duarte Meza.

 

Le tribunal a reconnu la responsabilité pénale de ces sept hommes pour l’assassinat de la défenseure Berta Cáceres et les quatre tueurs à gages ont aussi été déclarés coupables pour la tentative d’assassinat du témoin protégé. Emerson Duarte Meza, pour qui l’accusation privée avait demandé l’arrêt des procédures lors d’étapes antérieures, a été acquitté de toutes les charges.

 

Doña Austra Berta Flores, mère de la victime, avait des larmes qui roulaient sur ses joues à l’annonce des verdicts de culpabilité. Les membres des familles des accusés étaient aussi très émotifs. Lors de l’annonce de la responsabilité pénale de Sergio Rodrigue Orellana, sa fille, qui a été présente pendant presque toute la durée du procès, a complètement perdu le contrôle ; elle pleurait à chaudes larmes dans la salle.

 

Le tribunal a terminé en annonçant que les sentences pour chacun des coupables seraient prononcées le 10 janvier 2019.

Une fois que les juges eurent quitté la salle, les médias sont entrés par dizaine en poussant tout sur leur passage, d’abord pour filmer les coupables, puis pour interroger la mère de la victime qui ne pouvait pas quitter étant donné la quantité de médias qui l’entouraient.

 

Conférence de presse des victimes et de leurs avocats

 

Après l’audience, les victimes et leurs avocats ont tenu une conférence de presse devant la Cour suprême. Pour eux, ces sept premières condamnations ne sont qu’une première étape dans la quête de justice relativement à l’assassinat de Berta Cáceres. Ils exigent que les auteurs intellectuels soient jugés pour ce crime.

 

Ils affirment que la vérité des faits entourant ce crime est pour le moment limitée aux premiers accusés, en raison des obstacles que l’État du Honduras aurait posés dans leur chemin par l’entremise des actions du ministère public et des tribunaux. De plus, ils ont dénoncé leur exclusion du processus judiciaire.

 

Les victimes et leurs avocats ont toutefois admis qu’il s’agit d’un premier pas positif que le tribunal ait reconnu dans sa décision que l’entreprise DESA et ses cadres ont participé à la planification de ce crime. Selon eux, le gouvernement ne devrait donc plus attendre pour révoquer la concession octroyée à l’entreprise DESA pour la construction du barrage hydroélectrique Agua Zarca sur la rivière Gualcarque.

 

Les victimes continueront à se battre jusqu’à ce que la dignité, la vérité et la justice l’emportent dans cette cause.

 

Sur l’auteure 

 

Liza Yelle est conseillère juridique volontaire d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) dans le cadre du projet « Justice, gouvernance et lutte contre l’impunité au Honduras ». Liza participe actuellement à l’observation du procès de Berta Cáceres en coalition avec différentes organisations nationales et internationales de droits humains. Le projet est réalisé avec l’appui du gouvernement du Canada, accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.