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25 mai 2018

Marilynn Rubayika

Conseillère juridique volontaire

 

Du 25 avril au 9 mai 2018 se tenait, à Nouakchott, en Mauritanie, la 62e session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples (CADHP). La Commission est l’organe de l’Union africaine chargé de la promotion et de la protection des droits de l’Homme en Afrique et se réunit deux fois par an pour ses sessions ordinaires au cours desquelles les participants discutent de la situation générale des droits de l’Homme en Afrique.

 

 

Ceci se fait par le biais de déclarations des participants, de l’examen des rapports périodiques des États Parties, de panels thématiques et de plusieurs activités parallèles. À l’agenda de cette première session de l’année, figuraient les grands enjeux actuels tels que la question de la peine de mort en Afrique, la gestion des flux migratoires ainsi que le recul des libertés démocratiques.

 

Les représentants d’États, les institutions nationales des droits de l’Homme (INDH) ainsi que les organisations non-gouvernementales ayant un statut d’observateur sont invités à participer aux sessions ordinaires de la CADHP. Le Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH) a obtenu ce statut lors de la 30e session ordinaire, en octobre 2001. Pour l’actuel directeur exécutif de l’organisation, Mr. Amon Dongo, c’était une quatrième participation. Pour moi et pour ASFC, c’était une grande première…

 

Que faisait le MIDH à la 62e session de la CADHP ?

 

En 2015, la CADHP a, suite à une communication de l’ONG Open Society, rendu une décision contre la Côte d’Ivoire, Open Society Justice Initiative c. Côte d’Ivoire, lui recommandait de prendre un certain nombre de mesures pour remédier au problème d’apatridie auquel font face certaines communautés sur le territoire ivoirien.

 

La Convention relative au statut des apatrides de 1954 définit, en son article premier, l’apatride comme étant une personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation. L’apatride est une personne sans nationalité. Or, la nationalité est le droit de tous les droits, permettant à un individu d’exercer tout autre droit.

 

De ce fait, l’absence de nationalité peut être néfaste pour la vie des individus concernés. Dans certains cas, les apatrides ne peuvent ni enregistrer leurs enfants à la naissance ni les inscrire à l’école. Dans d’autres cas, l’apatridie réduit l’accès aux services de santé publique et à un bon nombre d’autres droits.

 

En Côte d’Ivoire, ceci est une vraie problématique due, entre autres, au passé colonial du pays et aux mouvements des populations qui caractérisent la région de l’Afrique de l’Ouest. En effet, la nationalité est régie par la loi de chaque pays et si certains États ont adopté le droit du sol, considérant ainsi comme ressortissant toute personne née sur leur territoire, d’autres ont opté pour le droit du sang, requérant une filiation parentale avec un national.

 

Le recensement ivoirien de 2014 établissait que 24% de la population du pays s’identifie comme étranger bien que 59% des personnes identifiées comme étrangères sont nées en Côte d’Ivoire. Parmi ces personnes, plusieurs ne sont reconnues comme nationaux par aucun autre pays. À ce jour, le nombre d’apatrides en Côte d’Ivoire s’estime à 800 000.

 

Parmi les recommandations contenues dans la décision de 2015, l’adoption d’un plan d’action national pour l’éradication de l’apatridie d’ici 2024, la modification du Code ivoirien de la nationalité pour le rendre conforme à la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d’apatridie, deux conventions signées et ratifiées par La Côte d’Ivoire.

 

Un privilège de travailler aux côtés du Mouvement ivoirien des droits humains

 

Le MIDH, en tant qu’organisation de promotion et de défense des droits de l’Homme et coordonnateur de la Coalition ivoirienne contre l’apatridie (CICA) travaille activement au plaidoyer national visant à assurer l’implémentation de ces recommandations par le gouvernement ivoirien.

 

 

Marilynn Rubayika, conseillère juridique volontaire.

 

Une grande partie de mon travail auprès du MIDH consiste en ma participation régulière aux différentes réunions nationales qui ont pour but de faire avancer ce plaidoyer. En participant à la 62e session de la Commission, j’avais l’opportunité de non seulement partager les progrès faits en Côte d’Ivoire en matière d’éradication d’apatridie, mais également de mieux m’imprégner de l’état de la problématique au niveau régional. En effet, une meilleure compréhension de la situation ne peut que permettre une meilleure réflexion à des fins d’élaboration de nouvelles stratégies de plaidoyer.

 

Avant la session, le Forum des ONG

 

Pendant les trois jours précédant les travaux de la session ordinaire, s’est tenu le Forum des ONG, un événement qui regroupait toutes les ONG œuvrant à la défense et à la promotion des droits humains sur le continent africain et leur permet de discuter des enjeux des droits humains en Afrique.

 

Cette année, aux côtés du Rapporteur spécial sur les réfugiés, les personnes déplacées et les migrants auprès de la CADHP et de deux autres organisations régionales travaillant à la lutte contre l’apatridie, la CICA, représentée par le MIDH, a tenu un panel sur la promotion du droit à la nationalité et l’éradication de l’apatridie.

 

La CICA était alors chargée de présenter aux participants les initiatives de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour combattre l’apatridie. Le point central des discussions ? Le processus d’adoption du Protocole de l’Union africaine portant sur le droit à la nationalité, additionnel à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples.

 

Ce panel, tel que l’a d’ailleurs souligné le Rapporteur spécial, était une évidence de la nécessité et de l’importance cruciale du travail de sensibilisation et de plaidoyer effectué par les organisations de la société civile.

 

Que les travaux commencent !

 

Après la cérémonie d’ouverture de la session et l’adoption de l’agenda, la présidente de la CADHP, Soyata Maiga, a invité les délégués des différents États à faire leurs déclarations. Ils ont, à tour de rôle, exposé la situation des droits humains dans leur pays respectif. À leur suite, nous avons entendu les déclarations des institutions nationales des droits de l’Homme – les commissions nationales et finalement les déclarations des ONG.

 

Ces déclarations, exposant les nombreuses avancées législatives sur le continent africain en matière des droits de l’Homme sont arrivées comme un réel encouragement pour moi. J’ai particulièrement apprécié l’exercice du droit de réponse revenant aux délégués d’États suite aux déclarations des différentes ONG. En effet, une saine communication entre acteurs étatiques et organisations de la société civile est, selon moi, une clé indispensable pour l’amélioration de la situation de ces droits que nous défendons.

 

 

Il faut dire que, pour la nouvelle juriste que je suis, assister aux séances publiques de la CADHP était une expérience sans précédent. En quelques heures, m’étaient exposés les différents enjeux, progrès, difficultés rencontrées par les différents acteurs africains.

 

Par exemple, j’ai appris qu’aujourd’hui, au Sénégal, la femme a désormais le droit de passer sa nationalité à son époux. Auparavant, la législation nationale était discriminatoire en ce que l’homme était le seul transmetteur de nationalité. Ceci constitue donc un réel progrès en matière de droits des femmes.

 

J’ai également entendu les différents États affectés par la crise migratoire faire des déclarations dans lesquelles tous s’entendaient pour dire qu’il est important d’œuvrer à la protection des déplacés internes et des vulnérables migrants, en particulier ceux en détention. La migration n’étant pas un crime, ces détentions sont souvent injustifiées et arbitraires. De plus, la détention de ces personnes renforce, dans la plupart des cas, leur vulnérabilité et les soumet à des conditions de vie inhumaines.

 

Autant les questions de la liberté de manifestation brimée au Togo, de la situation des minorités sexuelles au Cameroun, des inégalités de genre en Égypte que la persistance des cas de mariages d’enfants dans la région sub-saharienne ont été abordées. À ces enjeux se sont aussi greffés le problème de non-respect des décisions des mécanismes régionaux par certains États, le mariage de filles de moins de 18 ans ainsi que l’interdiction d’accès à l’éducation pour les jeunes filles enceintes en Tanzanie. En peu de temps, j’ai eu droit à un véritable diagnostic des défis du continent africain, un moment marquant de mon mandat.

 

Plus que des victimes : des défenseurs

 

Il m’est arrivé, dans le passé, de penser que la défense et la protection des droits de l’Homme était un travail principalement théorique. Mon expérience en tant que conseillère juridique volontaire avec ASFC m’a prouvé le contraire.

 

Quotidiennement, je rencontre et discute avec les victimes de graves violations des droits humains et ma première leçon était de comprendre que le terme « victime » ne suffit pas pour les décrire. Dans plus d’une discussion, une femme m’a dit qu’elle tenait à ce que justice soit faite pour éviter à une autre femme de connaître le même sort que le sien.

 

Lorsque j’ai rencontré cette femme qui m’a expliqué qu’elle est devenue défenseur des droits de l’Homme après avoir été victime d’excision et lorsque j’ai rencontré cet homme qui défend aujourd’hui les droits humains avec pour motivation la torture qu’il a lui-même subi, j’ai compris que la défense et la protection des droits de l’Homme n’est pas que théorique. Pour certains, c’est toute leur vie.

 

Sur l’auteure 

 

Marilynn Rubayika, conseillère juridique volontaire en Côte d’Ivoire dans le cadre du projet Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF). Ce projet est mis en oeuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) en consortium avec le Bureau international des droits des enfants (IBCR) et en collaboration avec le Barreau du Québec.