Le séminaire international sur les «poursuites judiciaires relatives aux violences sexuelles liées aux conflits au Mali : comment surmonter les obstacles ?» a été organisé par Avocats sans frontières Canada (ASF Canada) du 12 au 14 novembre, avec le soutien financier d’Affaires mondiales Canada. Il a servi de cadre aux acteurs et actrices de chaîne pénale, aux organisations de la société civile et aux panélistes africain.e.s pour partager leurs expériences et bonnes pratiques et faire des recommandations pour une réponse judiciaire effective et efficace face aux violences sexuelles liées aux conflits. La recommandation principale du séminaire est le besoin d’adopter une loi spécifique pour ce type de violation grave des droits humains.
Le Mali a connu une hausse alarmante des violences sexuelles. Selon le rapport trimestriel du système de gestion des informations sur la violence basée sur le genre (VBG), datant de juillet 2024, un total de 2 315 incidents de violence basée sur le genre ont été rapportés comparé à 1 782 incidents rapportés à la même période en 2023, concernant exclusivement des femmes et des filles. Parmi ces incidents, 30% étaient des cas de violences sexuelles.
Cette augmentation avait aussi été constatée par le Conseil de sécurité des Nations unies, et dans son rapport d’avril 2024, il fait mention de l’existence de plusieurs obstacles à l’accès au Mali des survivantes de violences sexuelles aux services dont elles ont besoin, à savoir: les longues distances que les survivantes qui vivent dans des régions reculées doivent parcourir, la méconnaissance des services disponibles, l’insécurité généralisée, les coûts prohibitifs associés aux procédures judiciaires , les lacunes dans la prise en charge clinique des survivantes et le soutien psychologique.
«L’importance de ce séminaire est capitale dans le contexte actuel malien. Les violences sexuelles liées aux conflits impunies représentent une menace sérieuse aux sentiments de sécurité et de justice des femmes et personnes en situation de vulnérabilité à travers le pays. Quel qu’en soit l’auteur.trice, ces violences doivent être prises au sérieux et être sanctionnées.»
Brian MENELET, Directeur Mali d’ASF Canada
Grâce au partage d’expériences d’expert.e.s du Mali, du Sénégal, du Tchad, de la République démocratique du Congo, au témoignage d’une femme leader du Mouvement des survivantes de la République Centrafricaine (MOSUCA) et aux échanges entre une soixantaine de participant.e.s, composé.e.s d’acteur.trice.s de la justice (notamment magistrat.e.s et membres des unités d’enquête du Pôle judiciaire spécialisé de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale organisée) et de la société civile, des recommandations ont été formulées pour que les victimes puissent obtenir justice et par conséquent, consolider la réconciliation et le retour à la paix.
Ainsi, il est notamment recommandé :
Au Ministre de la Justice et des droits de l’Homme, Garde des Sceaux :
– Adopter une loi spécifique sur les violences sexuelles liées aux conflits dans laquelle se retrouveront notamment: les infractions; les peines applicables; l’allègement du fardeau de la preuve ; la possibilité d’engager la responsabilité pénale du chef de guerre du fait des personnes agissant sous ses ordres; la possibilité de garder l’anonymat pour les victimes et témoins de violences sexuelles liées aux conflits; la possibilité pour les victimes et survivantes de violences sexuelles liées aux conflits de témoigner à huis clos; la prise en charge holistique des victimes et la protection des victimes et témoins;
– Harmoniser la législation interne avec les traités ratifiés par le Mali pour une meilleure protection des survivantes de violences sexuelles liées aux conflits;
– Enregistrer le témoignage de la victime et ce, dès le dépôt de la plainte, afin d’éviter à ces dernières de répéter leur version des faits tout le long des enquêtes policières et judiciaires d’ici au procès;
– Veiller à la présence continue et effective des services publics de justice sur toute l’étendue du territoire ;
– Dispenser aux acteur.trice.s de la chaîne pénale, dont le Pôle judiciaire spécialisé, une formation spécifique continue obligatoire sur les violences basées sur le genre, incluant les violences sexuelles liées aux conflits, et les mécanismes internationaux;
– Déployer des antennes du Pôle judiciaire spécialisé en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale et des unités d’investigations sur le territoire national, en plus de l’antenne de Mopti.
À la Direction Nationale de l’Administration de la Justice (DNAJ), à l’Inspection des services judiciaires, aux chefs de juridictions et de parquet:
– Rendre fonctionnels les mécanismes de contrôle interne au sein des juridictions pour repérer les blocages et pallier la lenteur de la procédure dans les dossiers de violences sexuelles liées aux conflits.
Aux unités d’enquêtes :
– Veiller à ce que l’attribution des dossiers tiennent compte de la langue parlée par la victime;
– Documenter et archiver systématiquement les éléments de preuve et témoignages (oraux ou écrits) pour éviter la perte ou la destruction de ceux-ci.
Aux avocat.e.s et organisations de la société civile :
– Documenter et archiver systématiquement les éléments de preuve et témoignages (oraux ou écrits) pour éviter la perte ou la destruction de ceux-ci.
– Renforcer le dynamisme dans le suivi des dossiers auprès des juridictions et faire systématiquement le relais de ce suivi auprès des victimes représentées.
– Utiliser les dispositions applicables en droit international, le Mali étant le pays africain ayant ratifié le plus de traités internationaux.
Renseignements
Racki Gakou, responsable communications et plaidoyer
racki.gakou@asfcanada.ca