Pierrick Rouat
Conseiller juridique
Habituellement, lorsqu’on parle du Mali au Canada, c’est soit :
– qu’il y a une nouvelle qui concerne notre deux-cents cinquantaine de casques bleus déployés avec la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-unies pour la stabilisation au Mali);
– qu’il y a encore eu un massacre ou une attaque terroriste.
Je vais vous donner une troisième raison de parler du Mali : ses proverbes. Des siècles d’une tradition orale riche, mêlée à un tissu social diversifié, ont fait des Maliens des champions dans l’art de parler (et de parler beaucoup). Depuis l’empire du Mali au XIIIe siècle, le Mali a été un lieu de rencontre entre commerçants transsahariens du cuivre, de l’or et des étoffes, et commerçants « locaux » venus du sud du Mali actuel proposer leur cola en échange du sel des commerçants du nord du Mali actuel. Resté ensuite un modèle de vivre ensemble pour la région, malgré les successions de royaumes et de conquêtes, le Mali a conservé dans sa tradition orale la diversité de ses origines.
Il existe même un proverbe malien sur les proverbes, c’est pour dire! « La parole sans proverbe est comme une sauce sans sel ». Et Dieu sait qu’on aime sa sauce bien salée ici. J’ai choisi d’en partager quelques-uns, histoire que nous bénéficions tous de cette sagesse malienne. Je les ai regroupés en thèmes distincts.
Avertissement 1 : les proverbes sont comme les langues qui les portent : ils ont rarement une frontière. Leur origine est difficilement vérifiable et certains parmi ceux qui suivent sont ivoiriens, sénégalais, burkinabés, autant qu’ils sont maliens. Merci à tous mes collègues, notamment Issa Keita, pour leur apport en proverbes.
Avertissement 2 : n’allez pas croire avec tout ça que les Maliens sortent un proverbe à tous les deux mots. Il s’agit du fruit étalé de 11 mois sur le terrain. Bonne lecture!
L’importance de la parole
« L’oiseau se sauve par son bec, nous par notre bouche »
« Kônô là tji mourou yé dayé » (« Le seul couteau pour ouvrir le ventre, c’est la bouche »)
Débattre pour savoir qui a l’autorité
« Ce n’est pas au genou/épaule de porter le chapeau quand la tête est là »
« Le prisonnier est le mieux placé pour parler de sa prison »
Mémoire, histoire, pardon
« Si l’histoire de la chasse est écrite par le chasseur, vous n’écrivez rien en fait »
« La plaie ne cicatrisera pas tant qu’il reste du pus dedans »
« Un doigt ne démolit pas la maison, mais il la montre aux démolisseurs »
« Si vous courrez après le temps perdu, vous risquez de n’attraper que du vent »
« L’oiseau dont on a pris les œufs, si on ne l’attrape pas, continuera à pondre »
Foi et destin
« La tête qui est couverte par Dieu n’a pas besoin de chapeau »
« L’arbre qu’on a planté, et l’arbre qui a poussé de lui-même, ne sont pas les mêmes »
« Dans la vie, il y a ceux qui amènent les animaux au pâturage, ceux qui traient le lait, et d’autres qui le boivent » (certains sont plus chanceux que d’autres)
Honneur et droit de se défendre
« On ne rase pas la tête de quelqu’un en son absence »
« Saya ka foussa ni malo ye » (« plutôt la mort que la honte », qu’on retrouve aussi dans d’autres cultures. « Plutôt la mort que la souillure », ou « Kentoc’h mervel eget bezañ saotret » est aussi la devise de la Bretagne)
Prudence
« Ce n’est parce que tu veux de la sauce que tu vas renverser la marmite bouillante sur ta tête »
« Le monde est vaste, mais celui qui n’a pas de chance peut s’y coincer la tête »
« On se chauffe dans nos vieux jours avec le bois ramassé dans notre jeunesse »
« Lorsqu’un chef vous tend une natte, asseyez-vous seulement sur un petit bout »
« Ne jette pas de cailloux quand ta maison est en verre »
« Si tu vois un oiseau quitter son nid pendant la nuit, c’est qu’il a touché à quelque chose ou que quelque chose l’a touché »
« À vouloir coudre un tissu abimé, on risque d’augmenter la déchirure »
Pragmatisme
« À défaut de sa mère, on tète sa grand-mère »
« Mieux vaut mourir couché dans son lit que d’être dévoré par un lion »
« On ne balaie pas sa chambre pour mettre les déchets sous le lit »
« On ne jette pas le poisson qu’on a dans la main pour prendre celui qu’on a sous le pied »
« Si tu ignores le courage de la brochette sur le feu, remplace-la un moment »
« On n’arrête pas le lever du soleil en cachant sa lumière avec la paume de sa main »
« La cause a beau être juste, on ne la défend pas avec un arc trop tendu »
« On n’a pas besoin de boire toute la sauce de la ménagère pour savoir si elle est bonne »
« Quelqu’un ne peut pas aller sur le front et une autre personne manger son salaire à la maison »
« On n’a pas le droit de récolter les fruits du jardin qu’on n’a pas cultivé »
« Un enfant dont on a bien lavé les mains peut pétrir le dégué des adultes »
« Celui qui se noie est prêt à saisir même la tige de fer rouge pour se sauver » (on n’a pas le choix quand on est vraiment dans le besoin)
La mère
« La belle femme est celle qui a un enfant sur le dos »
Le partage et le voisinage, y compris dans l’environnement de travail
« Le miel n’est pas bon dans une seule bouche »
« On ne peut pas se vanter de se passer des autres »
« On ne quitte pas la place publique où on bat du tam-tam pour rentrer à la maison et battre sur son ventre »
« Face à don, le refus ne peut résister longtemps », ou « le don gagne toujours contre le refus »
« Si tu vois le bienfaiteur pleurer, c’est que la personne à qui il a fait du bien ne l’a pas reconnu »
« Si merci vous agace, c’est que vous ne le méritez pas »
Le proverbe pour les gouverner tous, et dans l’amour du sel, les lier.
« La parole sans proverbe est comme une sauce sans sel »
On évitera de réaliser une analyse forcément superficielle de ces proverbes. Par contre, il y a peut-être un lien à explorer entre l’abondance du proverbe dans le parler malien et celle des tabous et des règles non écrites au Mali. Sans doute les proverbes permettent-ils de rendre acceptable ce qui ne le serait autrement pas dans un contexte précis. Nombreuses sont les situations tendues que j’ai vu se clore par un proverbe bien placé : réunion de travail où deux visions s’affrontent, présentation sur un sujet controversé où le public se choque, jeune voulant s’opposer à un interlocuteur plus haut dans la hiérarchie sociale (ancien, chef de famille, etc.), etc.
Sur l’auteur
Pierrick Rouat est conseiller juridique volontaire au Mali dans le cadre du projet « Renforcement de la Commission Vérité, Justice et Réconciliation ». Son travail s’insère dans la recherche de la vérité et la justice transitionnelle. Il termine un deuxième mandat et nous livre, après presqu’un an sur le terrain, quelques impressions sur son expérience.