Laura Bosse
Conseillère juridique volontaire
Mercredi 26 septembre 2018, devant une salle comble, un tribunal guatémaltèque de haut risque a reconnu la perpétration d’un génocide et de crimes de guerre contre la population maya Ixil pendant le conflit armé interne. José Mauricio Rodríguez Sánchez, le seul accusé encore en vie dans ce dossier, a cependant été acquitté de ces deux chefs d’accusation par manque de preuves. Le tribunal a en effet estimé que l’accusé ne faisait pas partie de la chaîne de commandement de l’armée et qu’il n’avait, de ce fait, pas de contrôle effectif sur la commission et la planification de ces crimes.
En 2013, un tribunal de haut risque avait déjà acquitté Rodríguez Sánchez pour la mort de 1771 mayas Ixil pendant le conflit armé, mais avait reconnu coupable Efraín Ríos Montt, ancien chef du gouvernement militaire de 1982 à 1983, de génocide et de crimes de guerre et l’avait condamné à 80 ans de prison. Cette sentence alors historique, puisque c’était la première fois qu’un chef d’État se voyait jugé et condamné pour de tels crimes devant un tribunal national, avait cependant était annulée quelques jours plus tard par une décision controversée du tribunal constitutionnel, qui avait ordonné un nouveau procès pour les deux accusés.
Des membres de la communauté maya Ixil à la dernière audience du procès contre José Mauricio Rodríguez Sánchez
Deux nouveaux procès
En octobre 2017, deux nouveaux procès séparés sont finalement ouverts contre Ríos Montt et Rodríguez Sánchez dans la ville de Guatemala, mais la mort de Ríos Montt le 1er avril 2018 aura malheureusement mis fin à l’espoir de centaines de survivants de le voir condamné à nouveau. Le procès de Rodríguez Sánchez, qui agissait comme chef de l’intelligence militaire sous le gouvernent de Ríos Montt s’est quant à lui poursuivi, et a permis à une centaine de survivants et de familles de victimes de témoigner des atrocités subies pendant le conflit armé.
Pendant près d’un an, tous les vendredis, des membres de la communauté maya Ixil ont défilé à la barre pour raconter les massacres et la destruction des villages qu’ils habitaient, les tortures et les violences sexuelles infligées aux femmes, souvent devant mari et enfants, et comment ils avaient dû se réfugier dans les montagnes pour se protéger alors que l’armée brulait leurs récoltes, pillait leurs demeures et leur bétail , les condamnant ainsi à mourir dans la misère.
Des membres de la communauté maya Ixil arrivent à la salle d’audience pour écouter le verdict contre Rodríguez Sánchez
Tout au long du procès, l’avocate de Rodríguez Sánchez s’est évertuée à démontrer que ce dernier n’avait pas pu coordonner, planifier, ni superviser les actions dirigées contre les communautés civiles Ixil, car son travail consistait à conseiller le haut commandement militaire et non pas à mener ou à diriger des actions militaires. En tant que chef de l’intelligence, il n’avait donc pas, selon elle, le pouvoir de donner des ordres aux forces armées qui ont détruit près de 90 villages de la région Ixil pendant les 17 mois qu’a duré le gouvernement militaire de Ríos Montt.
La stratégie de la défense a porté ses fruits puisque le tribunal a conclu à deux voix contre une que le ministère public n’a pas réussi à prouver que Rodríguez Sánchez avait l’autorité suffisante pour donner les ordres qui ont conduit au génocide de la population maya Ixil. La juge Sarah Yoc Yoc, dissidente, a cependant rejeté cette théorie, argumentant que Rodríguez Sánchez, en tant que chef de l’intelligence militaire, était responsable d’identifier l’ennemi interne au centre de la politique contre-insurrectionnelle de l’armée et de fournir de l’information sur ces individus, ce qui a contribué au nombre de morts élevé au sein de cette communauté.
Des victimes qui n’ont toujours pas été indemnisées
Bien que le tribunal de haut risque ait reconnu à l’unanimité et pour la deuxième fois la commission d’un génocide contre la population maya Ixil dans les années 80, aucune réparation n’a pu être accordée aux victimes puisque l’unique accusé Rodríguez Sánchez a été acquitté par ce même tribunal.
Plus de trente ans après la commission de ces atrocités, les effets de ces dernières perdurent au sein de la communauté Ixil. Expropriés de leurs terres pendant le conflit armé, les membres de la communauté vivent toujours dans une grande pauvreté, n’ont pas accès aux services les plus essentiels et souffrent de la destruction de leur tissu social.
Devant la gravité des violations commises et des conséquences qu’elles entrainent, on pourrait penser que le gouvernement devrait reconnaître sa responsabilité, comme il l’a fait devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour certains dossiers, et réparer les torts commis. Cependant, dans le cas du génocide, cette idée est une utopie. En effet, dans les milieux conservateurs très influents, celui-ci est catégoriquement réfuté et la demande de justice des victimes est considérée comme une tractation financière de ces dernières pour recevoir de l’argent de l’État.
Ainsi, Alvaro Arzu, fils du président de la République du même nom et président du parlement guatémaltèque, a publié sur Twitter au lendemain de la décision judiciaire : « L’unique raison de continuer à dire que le Guatemala est un pays génocidaire est que les réparations et les financements millionnaires continuent d’être versés aux ONG. Il est temps de terminer ce commerce pervers qui a fait tant de mal au pays. »
Encore un espoir
Malgré les propos d’Arzu, il est à espérer qu’avec ce jugement qui reconnait à nouveau le génocide motivé en grande partie par le racisme et la discrimination historique contre les peuples autochtones au Guatemala, le discours négationniste sera à l’avenir plus difficile à soutenir dans l’espace public.
De plus, bien que le chemin semble encore ardu pour que les victimes soient pleinement reconnues, respectées et indemnisées, il réside au sein du système interaméricain un espoir de taille pour ces dernières. En effet, en 2013, à la suite de l’annulation du premier jugement condamnant Efraín Ríos Montt, les représentants des victimes appuyés par ASFC ont déposé une pétition devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Si celle-ci est renvoyée devant la Cour interaméricaine, il est fort possible qu’après ces longues années d’attente, des réparations soient finalement octroyées aux victimes, ce qui serait une grande victoire pour cette communauté, mais également pour tous ceux qui croit à l’importance de la justice et qui ont accompagné ces victimes dans leur quête de justice ces dernières années.
Devant la salle d’audience, des haut-parleurs ont été installés pour que ceux restés à l’extérieur puissent écouter le jugement.
Sur l’auteure
Par Laura Bosse, conseillère juridique volontaire au sein du projet Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables. Ce projet est mené par Avocats sans frontières Canada en consortium avec le Bureau international des droits des enfants. Le projet est réalisé avec l’appui du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.