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17 mars 2025

Rencontre avec l’Association des femmes juristes du Bénin, dans le cadre du projet PLURIELLES, à Cotonou au Bénin © Santé Monde

Par Marianne Racicot et Juliette François-Blouin
Conseillères juridiques volontaires

 

Le projet PLURIELLES est un projet multisectoriel visant à renforcer la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes et des adolescentes dans trois pays d’Afrique de l’Ouest : le Bénin, le Burkina Faso et le Mali. Comme conseillères juridiques volontaires, nous avons contribué à la mise sur pied de cliniques d’aide juridique et d’assistance judiciaire dans ces trois pays. Nous étions à Ouagadougou quand nous avons pris connaissance des défis en matière de santé mentale vécus par le personnel. Dans ce blogue, nous expliquons le rôle des cliniques, le quotidien des intervenants et des intervenantes et donnons des pistes de réflexions basées sur notre expérience pour assurer la pérennité de leur travail.

 

Opérées par des organisations locales de défense des droits des femmes et appuyées par le projet, ces cliniques juridiques ont pour but d’offrir des services d’aide juridique et d’assistance judiciaire aux femmes en situation de vulnérabilité qui sont ou ont été victimes de violence basée sur le genre. Notre mandat a impliqué de former et de renforcer les capacités du personnel à prendre en charge les dossiers en adaptant leurs interventions selon les principes de ne pas nuire et des approches centrées sur la victime et sensibles aux traumatismes.

 

Dans les trois pays où le projet est déployé, les intervenant.e.s des cliniques juridiques sont en première ligne, au même titre que les travailleur.euse.s sociaux, ou le personnel soignant. L’écoute de récits souvent émouvants, difficiles et parfois violents est au cœur de leur quotidien.

 

Lors d’une des formations dispensées aux cliniques du Burkina Faso , un principe clé de l’approche sensible aux traumatismes a capté l’attention des intervenant.e.s : le soutien par les pairs. Ce principe encourage le support par l’entourage des victimes et des survivantes afin de favoriser la guérison après un trauma. Ce principe a fortement résonné avec les personnes présentes, qui ont souligné l’importance des liens communautaires et des valeurs d’entraide, deux piliers fondamentaux de la société burkinabè. Au cours de cette discussion, les intervenant.e.s se sont questionné.e.s pourquoi ce principe ne s’appliquait pas à eux et elles également.

 

Le métier d’intervenant.e.s : nécessaire et difficile

 

Au sein des cliniques du projet PLURIELLES, une des tâches principales des intervenant.e.s est de fournir des informations juridiques à des femmes dont les droits humains ont été violés. Certaines ont vécu des violences sexuelles, un mariage forcé ou ont été victimes de lévirat, obligées de marier le frère de leur défunt mari.

 

Dans la pratique, les personnes qui deviennent intervenant.e.s portent plusieurs chapeaux : elles agissent à titre de confidentes auprès des victimes, offrent un certain soutien psychologique, agissent en tant que médiatrice, et plus encore. C’est un travail lourd, dont il peut être difficile de se distancer.

 

Des intervenant.e.s au Burkina Faso nous ont confié qu’elles reçoivent fréquemment des messages de la part de victimes ou de collègues le soir et la fin de semaine. Puisque les cliniques du projet sont situées à Banfora, en région éloignée de la capitale burkinabè, leur crainte est que personne ne vienne en aide aux victimes en leur absence. Des premier.ère.s répondant.e.s ne sont pas toujours disponibles dans cette région.

 

Lors de la formation à Bamako, pour les cliniques du projet au Mali , plusieurs intervenant.e.s nous ont fait part d’enjeux similaires. L’experte communautaire de la région de Kayes nous a expliqué que lors de ses interventions dans les communautés, elle se retrouve face à des situations très difficiles. De nombreuses victimes se confient à elle sur les violences qu’elles subissent au quotidien que ce soit par leur époux, leur frère, leur père ou même leur belle-mère.

 

À force d’entendre de tels récits, cette experte communautaire est convaincue que ces violences sont partout. Ainsi, bien qu’elle n’ait fait face avec aucune menace tangible, elle a développé une peur de laisser ses enfants sortir au risque qu’ils soient enlevés ou agressés. Elle nous a également confié qu’à certains moments elle perdait son objectivité et pouvait développer des sentiments négatifs dus à l’accumulation de violence au sein de sa communauté, de sa trop grande empathie et de son impuissance face aux auteurs des crimes. Elle reconnait qu’il n’est ni viable ni sain de continuer à vivre ainsi, mais n’a personne vers qui se tourner.

 

Peu de ressources pour les intervenant.e.s

 

Les troubles psychologiques reliés au stress est fréquent chez les professionnel.le.s œuvrant dans les cliniques juridiques. Malheureusement, la santé mentale chez les intervenant.e.s est tabou dans certaines régions et est souvent oubliée dans d’autres. Elle doit être prise en compte afin que les intervenant.e.s puissent être en mesure de prodiguer des services adéquats sur le long terme.

 

Les participant.e.s aux formations du projet ont répondu avec engouement à la proposition d’engager un.e professionnel.le de la santé afin de les outiller sur la santé mentale au travail et la conciliation travail-famille. Toutefois, il y a trop peu de psychologues de formation pour répondre aux besoins entiers dans les régions où le projet PLURIELLES est actif, particulièrement celles des intervenant.e.s.

 

Au Mali, il n’y a qu’un psychologue à Kita et un à Kayes. Dans la région du Mono, au Bénin et dans la région des Cascades, au Burkina Faso, le problème est encore plus marqué : il n’y a aucun psychologue. Dans ces régions, un soutien d’ordre psychosocial est disponible, via des assistant.e.s social.e.s sont disponibles à travers les guichets uniques de protection sociale (Bénin), les one stop centers (Mali) et l’action sociale (Burkina Faso ). Or, ces ressources sont généralement pensées pour les victimes et les survivantes et non pour les intervenant.e.s.

 

Cette absence de services pourrait avoir des effets néfastes non seulement sur la santé mentale des intervenant.e.s, mais aussi sur la pérennité des cliniques. Assurer l’accessibilité et la qualité de services psychologiques permettent l’épanouissement personnel et professionnel des intervenant.e.s qui sont les piliers des systèmes de prise en charge des victimes de violences basées sur le genre.

 

Sur les auteures

 

Marianne Racicot et Juliette François-Blouin ont été conseillères juridiques volontaires dans le cadre du projet PLURIELLES, mis en œuvre avec le soutien financier du gouvernement du Canada, par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

 

Sur le projet PLURIELLES

 

Le projet PLURIELLES est mis en œuvre par Santé Monde, Avocats sans frontières Canada et SOCODEVI. La combinaison des expertises de chacune, soit la santé, l’autonomisation économique, le droit et le changement de comportement, permettra un plus grand impact sur les conditions de vie et le bien-être des femmes et des adolescentes en situation de vulnérabilité. Deux millions de Maliennes, Burkinabè et Béninoises devraient bénéficier du projet d’ici 2027.

 

Sources

 

Ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille du Mali, Prise en charge holistique des conséquences des violences basées sur le genre, Protocole National, Juin 2020, p. 33-35.

 

Preventica, Veiller à la santé mentale des travaillleurs sociaux.

 

Rantonen O, Alexanderson K, Pentti J, Kjeldgård L, Hämäläinen J, Mittendorfer-Rutz E, Kivimäki M, Vahtera J, Salo P. Trends in work disability with mental diagnoses among social workers in Finland and Sweden in 2005-2012. Epidemiol Psychiatr Sci. 2017 Dec;26(6): 644-654.