Emma Sitland
Conseillère juridique volontaire
En tant que conseillère juridique volontaire en litige stratégique pour Avocats sans frontières Canada au Mali, une partie de mon rôle consiste à participer à l’accompagnement des victimes de violations des droits humains, en particulier de violences basées sur le genre. Parfois, ces victimes se retrouvent en prison.
Entrer dans la prison pour femmes de Bollé à Bamako – l’une des seules prisons pour femmes du Sahel – n’était pas ce à quoi je m’attendais. Une fois les portes franchies, après un contrôle de sécurité, j’ai été accueillie par une cour en plein air remplie de femmes et de jeunes filles (les détenues) et, à ma surprise, de leurs enfants. Loin de ressembler aux cellules sombres et surpeuplées sur lesquelles je croyais tomber – et qui caractérisent de nombreuses prisons de la région – les détenues se promenaient librement dans la cour, saluant de la main et interpellant de temps à autre notre délégation par un « i ni sogoma » (bonjour en Bambara, la langue locale).
De nombreuses femmes et filles étaient assises en groupes, se lisant mutuellement des histoires et des textes religieux, tandis que leurs enfants s’amusaient avec les rares jouets éparpillés. Sans les barbelés et le personnel militaire, on pourrait oublier que l’on se trouve au milieu d’une prison dans un pays actuellement engagé dans un conflit armé non étatique.
Dans de petites structures situées autour du périmètre du centre de détention, on pouvait voir d’autres femmes bénéficier de formations professionnelles et d’autres activités proposées par la prison. Certaines femmes travaillent dans un centre de couture, où elles assemblent des tissus de couleurs vives pour confectionner des robes pour les détenues, d’autres apprennent à tresser et à coiffer les cheveux. En offrant aux femmes la possibilité d’acquérir de nouvelles compétences, la prison – soutenue par des organisations internationales – favorise leur réinsertion après leur libération, leur donnant une meilleure chance de trouver un emploi digne et d’atteindre la sécurité financière, donc l’autonomie.
Derrière les apparences, une réalité complexe
Malgré les services offerts par la prison, une triste réalité choque : de nombreuses femmes et filles détenues à Bollé n’ont été reconnues coupables d’aucun crime. Un système judiciaire défaillant et de longs délais pour les procès ont laissé de nombreuses détenues bloquées en détention provisoire pendant des mois, voire des années. Sur 266 détenues, le directeur de la prison recense près du quart des femmes en attente d’un procès. Soupçonnées de traite (dont beaucoup se disent victimes de cette pratique), ces quelque 60 femmes traînent au sein du système en attente de la cour d’assises qui, elle, veut regrouper leurs affaires et mener les procédures en même temps.
Une réalité plus complexe encore est la façon dont de nombreuses femmes emprisonnées à Bollé occupent à la fois le statut d’auteure et de victime. L’avocat qui m’accompagnait lors de cette visite connaissait bien la prison et ses détenues. Des femmes et des jeunes filles tombées enceintes après des abus sexuels de la part de leur employeur, alors qu’elles travaillaient comme femmes de ménage, qui, par peur de leur agresseur et devant l’incapacité à subvenir aux besoins d’un bébé, ont tué l’enfant. Elles ont été emprisonnées pour infanticide, condamnées à de lourdes peines de prison pouvant aller jusqu’à la perpétuité.
Bien qu’elles aient commis les crimes pour lesquelles elles sont condamnées, ces détenues, et d’autres encore, sont également victimes de violences basées sur le genre au sens de la loi, des sévices qui sont susceptibles d’avoir influencé la commission du crime. Ce facteur est rarement pris en compte lors de la détermination de la peine et la plupart des accusées, en raison d’un manque de fonds et d’une pénurie d’avocat.e.s au Mali, n’ont pas accès à une représentation juridique adéquate qui pourrait permettre d’établir d’éventuelles circonstances atténuantes.
La femme, et son enfant de deux ans qui est détenu avec elle, à qui je devais rendre visite à la prison Bollé était dans cette situation. Avocats sans frontières Canada (ASF Canada) l’accompagne en prévision de sa libération, afin que ses besoins soient pris en compte. Elle a été victime de mariage précoce et de violences conjugales, y compris des violences sexuelles. Une nuit, après que son mari ait menacé sa vie, elle l’a tué dans son sommeil. La fille, mineure lors des faits, a passé plus de deux ans en détention provisoire avant qu’un avocat local et ASF Canada ne prennent connaissance de son dossier, et lui assure une représentation juridique. Elle a depuis obtenu une réduction de peine sur la base de circonstances atténuantes, qui s’élevait d’abord à 30 ans de prison. Son cas est emblématique d’un système juridique défaillant.
En fournissant une aide juridique et une assistance judiciaire aux victimes et aux survivant.e.s de violations des droits humains au Mali, ASF Canada apporte aux personnes en situation de vulnérabilité les moyens de naviguer dans ce système judiciaire, pour faire valoir leurs droits et obtenir justice.