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8 décembre 2022

Crispin Sangara Bahiziré

Conseiller juridique volontaire

 

Le Mali et la République démocratique du Congo (RDC) connaissent depuis 2012, pour le premier, et 1996, pour la seconde, des crises sécuritaires et politiques qui ont entraîné de graves violations des droits humains. Le nord du Mali et l’est de la RDC ont plusieurs points contextuels similaires liés aux deux crises ; si on les situe dans ces deux périodes de l’histoire. Plusieurs groupes rebelles, qui jusqu’à présent continuent à opérer se sont développés et ont eu le contrôle de toute ou d’une partie de la région nord pour le cas du Mali, et l’est pour le cas de la RDC. Ces occupations de territoires ont entraîné les déplacements massifs de la population civile.

 

Au vu des positions géographiques de territoires maliens (Gao, Kidal, Tombouctou) et de ceux congolais (Ituri, Nord-Kivu et Sud-Kivu) peut-on réellement affirmer qu’il y a eu une ressemblance, dans les causes et dans les solutions, entre les deux crises bien que situées à des périodes différentes?

 

Pour répondre à ces questions, nous allons parler d’un côté des éléments contextuels (A) avant de faire le point sur les mécanismes de réparation développés par les deux États du fait de leur défaut de protection (B).

 

A. Nord-Mali et Est de la RDC : des enjeux contextuels et conflictuels semblables

 

 

L’effondrement du pouvoir libyen en 2011 a joué un rôle prédominant dans la déstabilisation du nord du Mali. Des Touaregs maliens engagés dans l’armée de Kadhafi sont rentrés au Mali avec leurs armements piochés dans l’arsenal militaire du leader libyen, grâce auxquels ils ont lancé une attaque sur Ménaka (dans la région de Gao) le 17 janvier 2012, acte qui a marqué le début de la rébellion. La rébellion s’est inscrite dans un cadre plus large qui a poussé le pays vers la crise. Les causes de la crise ont été multifactorielles. On peut citer la nécessité de l’autonomie ou l’indépendance de la région de l’Azawad revendiquée par le MNLA, les défaillances et la corruption du système de justice au Nord, les contrôles de richesses à l’instar du pétrole, l’uranium, l’eau minérale, le manganèse. À Bamako, ces différentes causes, rajoutées à la crise politico-institutionnelle ont abouti au renversement du régime du Président Amadou Toumani Touré le 21 mars 2012.

 

En RDC, c’est en 1996 que les éléments armés banyamulenge/tutsis, qui avaient quitté le Zaïre (ancienne RDC) afin de suivre un entraînement militaire au sein de l’Armée patriotique rwandaise (APR), et des militaires de cette même faction, ont entamé, via le Burundi, leurs opérations d’infiltration au Sud-Kivu et, à travers l’Ouganda, leurs opérations de déstabilisation du Nord-Kivu. L’accrochage en août 1996 entre les Forces armées Zaïroises et les infiltrés a été le début de la rébellion et de la guerre qui ont conduit à la chute du régime de Mobutu après 32 ans au pouvoir. Les premières offensives ont été marquées par des attaques à caractère ethnique visant les camps de réfugiés hutus installés à Bukavu, Goma et Uvira. Outre la raison d’éloigner le plus loin possible l’ennemi, derrière cette guerre se cachait également un enjeu économique : le contrôle des matières premières qui regorge l’est de la RDC, notamment le coltan, l’or, le bois, pétrole, etc.

 

B. De la différence entre les réponses données par les autorités des deux pays

 

Dans le souci de recherche de vérité, la RDC et le Mali ont mis en place de réponses non juridictionnelles au profits de victimes. Avec une histoire différente, le Mali a connu une avancée dans la mise en place de ces réponses, alors que la RDC a connu l’échec dans son processus.

 

En effet, il a existé entre 2003 et 2007 une Commission Vérité et Réconciliation (CVR) en RDC, mais qui a présenté plusieurs lacunes. À titre d’exemple, l’existence présumée de liens de proximité entre certains membres de la CVR et des personnes soupçonnées de crimes. La réparation de victimes de violations graves des droits humains demeure pendante et insatisfaisante pour les concernées en RDC. Malgré une loi sur les réparations de victimes en examen, celle-ci, très limitée, ne s’appliquera qu’aux seules victimes de violences sexuelles. Contrairement aux commissions-vérité des autres pays, la CVR de la RDC était, selon la loi, chargée de négocier les accords de réparation entre les différentes factions et non d’adresser au gouvernement des recommandations en matière de réparations. La CVR a cessé ses fonctions en 2007 sur fond de controverse. Elle a présenté son rapport au Parlement. La CVR n’avait ouvert aucune enquête et n’avait recueilli aucun témoignage des victimes ou témoins des violations à sa clôture.

 

Au Mali, prévue par l’Accord pour la Paix et la Réconciliation issu du processus d’Alger, la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) a été créée en 2014 avec pour mandat de contribuer à l’instauration d’une paix durable à travers la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques. Dans son processus de recherche de la vérité, la CVJR a pris des dépositions de victimes, mené des enquêtes et organisé 5 audiences publiques. Ce qui n’a pas été le cas pour la CVR en RDC.

 

Depuis le jeudi 3 novembre 2022, une loi sur la réparation de victimes a été adoptée par le Conseil National de Transition pour laquelle Avocats sans frontières Canada a participé à l’élaboration. Cette loi ne fait pas de distinction de victimes contrairement à la loi en élaboration par le législateur congolais. Une autre avancée à signaler au Mali est celle de recommandations formulées par la CVJR et qui tiennent compte des souhaits de victimes. Dans ces recommandations, il est prévu la mise en place de deux organes successeurs à la CVJR, dont l’agence nationale de réparation, qui devra s’occuper de la mise en œuvre de la politique de réparation.

 

Au demeurant, reste à voir comment seront mis en place les organes successeurs à la CVJR, et si la RDC s’en inspirera.

 

Sur l’auteur 

 

Crispin est conseiller juridique volontaire dans le cadre de notre programmation au Mali.