Pierrick Rouat
Conseiller juridique volontaire
On entend généralement parler du Mali pour son contexte socio-économique difficile, les conflits armés ou dernièrement des massacres de civils. Je vais en parler sous un angle différent, en expliquant pourquoi le Québec et le Mali sont plus semblables qu’on pourrait le penser. Ils partagent d’importantes ressemblances géographiques et démographiques qui, quand on les examine, facilitent la compréhension pour un.e Canadien.ne de certaines causes profondes du conflit au Mali.
La démarche n’est qu’à moitié sérieuse. On ne va pas au fond d’enjeux sociologiques complexes dans un court article. Mais ces parallèles devraient permettre au public québécois – et canadien – de se faire une idée plus claire de ce pays sahélien qu’on connaît bien peu au final, et vice-versa pour le public malien. L’occasion de faire des ponts!
J’ai rassemblé ces parallèles en 9 points simples.
1. La taille
Ça commence quand on regarde la carte. Le Mali et le Québec ont virtuellement la même taille: Québec 1,5 million km2, Mali 1,24 million km2. Pour référence, ça correspond aux superficies combinées de l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas. Les deux cartes ici-bas sont à l’échelle.
Cartes du Mali et du Québec
2. Le fleuve nourricier
Autant au Québec qu’au Mali, tout tourne autour d’un grand fleuve qui conditionne l’histoire, la culture, le commerce, l’aménagement du territoire et la répartition de la population. Environ 80% de la population québécoise vit le long du fleuve Saint-Laurent (1). Même chose au Mali le long du fleuve Niger (2). Dans les deux cas, on a donc une population largement concentrée au sud du territoire.
Répartition démographique au Mali et au Québec, autour de leur fleuve
3. Hydrographie
La similitude entre les fleuves Saint-Laurent et Niger va plus loin. Ils ont à peu près le même tracé : ils prennent leur source au sud-ouest et coulent dans le même sens, traversant le territoire d’ouest en est sur plus de 1000 km.
4. Métropole
Dans les deux cas, c’est aussi le long du fleuve, au sud-ouest du territoire, qu’on retrouve la ville la plus peuplée : Montréal et Bamako. Et avec une population similaire : 2 millions de personnes sans les banlieues (3). Elles ont aussi en commun d’avoir été des comptoirs français (lieux de commerce de matières premières) pendant la colonisation par la France.
Les deux métropoles, Bamako et Montréal
5. Variation climatique
Au Québec comme au Mali, le climat varie drastiquement entre le nord et le sud. Le Québec a un climat subarctique au nord, continental tempéré au sud. Au Mali, le nord est désertique, le sud est tropical sec avec une saison des pluies chaude et humide. Dans les deux cas, la plaine fertile du fleuve au sud (et au centre du Mali) présente des conditions propices à l’agriculture et le nord un climat plus rigoureux. Et donc, autant au Mali qu’au Québec, le nord est très peu peuplé.
À gauche, une image satellite (The Map Library, 2013) indicatrice du climat au Mali, et à droite une moyenne des températures au Québec
6. Fossé culturel
Le nord, en plus d’être peu peuplé, est habité par des communautés culturellement et linguistiquement distinctes de celles du sud. Au nord du Québec: majoritairement des peuples des Premières Nations et des Inuits, présents avant la colonisation européenne, avec leurs propres langues et traditions. Au nord du Mali: communautés arabes, touarègues (nomades ou semi-sédentaires, environ 10% de la population totale) et Songhaï. Le centre et le sud réunissent des communautés diverses, mais majoritairement subsahariennes, dont les Bambaras (30 %), Peuls (9 %), Dogons (6 %), Songhaïs, etc (4). J’écris «majoritairement» parce qu’il s’agit d’une très large simplification. Les Songhaïs, par exemple, ne sont pas qu’au nord, mais au centre aussi.
7. Inégalités
Le public donc peut comprendre certaines dynamiques géopolitiques du Mali, s’il fait un parallèle mental avec les enjeux touchant les Premières Nations et Inuits au nord du Québec. Je vais faire l’exercice d’en énumérer certaines. Sans que j’aie besoin de préciser, vous verrez qu’ils sont applicables dans les deux contextes (nord Québec, nord Mali): isolement des communautés du nord, difficultés d’accès à l’éducation, la santé et la justice, pauvreté, sous-représentation du nord – notamment ses cultures et ses héros – dans le récit national, crise de confiance avec les fonctionnaires (l’administration) venus du sud et en particulier les forces de l’ordre (5), etc.
8. Inaccessibilité du territoire
Il est cher et compliqué de se rendre dans le nord du Québec. Par exemple, un billet d’avion de Montréal à Kuujjuaq (ville au nord du Québec) coûte entre 1000 et 2000$, alors qu’un billet Montréal – Paris coute 700$. Similairement, il est cher, long, compliqué – et en plus, dangereux – de se rendre dans le nord du Mali.
Réseaux routiers au Québec et au Mali, dans les deux cas le nord est difficilement accessible
9. Le rapport à la langue française
Autant le Québec que le Mali ont hérité du français en tant qu’anciennes colonies françaises. Le rapport à la langue y est évidemment différent. Elle constitue au Québec un symbole de survie nationale depuis plus de quatre siècles dans une Amérique du Nord dominée par 330 millions d’anglophones (6). Le français au Mali est plus directement associé à la colonisation (l’indépendance est récente puisque datant de 1960), et n’est parlé que par 17% de la population (7), bien qu’il reste la langue officielle de l’État. Malgré ces différences, autant les Québécois.e.s que les Malien.ne.s ont dû développer leur propre version du français, avec un accent, ou des mots empruntés à d’autres langues (l’anglais au Québec), ou encore en intégrant des mots en français dans les langues locales ouest-africaines (8). Le français au Mali s’est ancré si inconsciemment dans la façon de parler que peu de personnes sont capables de dire le nom en bambara de certains objets utilisés quotidiennement. Par exemple, les Malien.ne.s en prononçant « chaise » diront tout simplement « chaisi » en Bambara.
Conclusion?
La façon dont ces dynamiques géographiques et démographiques alimentent les conflits au Mali depuis l’indépendance en 1960 a fait l’objet d’études extensives (9), donc on n’y plongera pas ici. Il suffit pour le public au Québec de comprendre que ces réalités géographiques, combinées aux frustrations historiques et aux revendications autonomistes, expliquent une partie du conflit au Mali. La réalité est évidemment plus complexe et il faut ajouter à ces moteurs de conflits : la corruption, la mauvaise gouvernance, les conflits locaux pour le contrôle des terres arables et pâturages, l’impunité quasi-totale des auteurs de massacres (qui entraîne des cycles de revanche et d’auto-justice), l’impunité pour la délinquance financière, l’extrémisme religieux, les changements climatiques, le rôle parfois ambigu des pays limitrophes et les trafics transnationaux d’armes et de drogue.
Ce blogue a été rédigé dans le cadre d’un mandat de coopération volontaire pour le projet «Appui à la justice et la paix» au Mali, financé par le gouvernement du Canada, à travers Affaires mondiales Canada.
Références
1. Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Le Saint-Laurent, 2022, en ligne.
2. Awaïss Aboubakar, L’Initiative Bassin du Niger (IBN) : développement durable et gestion intégrée d’un grand fleuve, dans Afrique Contemporaine, 2003, pages 179-203.
3. Pour Bamako : UN Data, Mali : General information, capital city pop., 2021, en ligne. Pour Montréal : Ministère de l’Économie et de l’Innovation, Région Montréal : démographie, 2021, en ligne.
4. Secrétariat de l’OCDE pour le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, La population du Nord-Mali, 7 janvier 2015, CSAO #11, en ligne.
5. Précision : au Mali, cette crise de confiance envers l’administration et l’État est aussi présente au sud qu’au nord. Le système judiciaire est souvent inadapté à la culture des communautés du Sud qui recourent au « Dugu Tigui Blon » (Vestibule du Chef de Village) ou à « l’arbre à palabre ») pour régler leurs différends. Dans l’ensemble, seuls 10% des Malien.ne.s ont accès à la justice étatique, en laquelle la majorité des Malien.ne.s, toutes communautés confondues, ont peu confiance.
6. Dylan Lyons, The 10 Most Spoken Languages In North America, 24 août 2021, pour Babbel Magazine, en ligne.
7. Organisation internationale de la francophonie, La langue française dans le monde, 2019, en ligne.
8. Mes collègues, sinon voir aussi : Katjia Remane, Le Mali, le pays le moins francophone de d’Afrique, 12 octobre 2010, en ligne.
9. Le rapport final de la Commission Vérité Justice et Réconciliation contiendra notamment une analyse en détail des causes profondes des violences récurrentes depuis 1960. Entretemps, voir notamment : Grégory Chauzal & Thibault van Damme, The roots of Mali’s conflict, 2015, en ligne. ; Sarah M. El-Abd, From Environmental Scarcity to ‘Rage of the Rich’ – Causes of Conflict in Mali, 2021, en ligne. ; FIDH, Dans le centre du Mali, les populations prises au piège du terrorisme et du contreterrorisme, 2018, en ligne. ; Niagalé Bagayoko et al., Analyse des causes profondes des violences et conflits communautaires dans l’espace du G5/Sahel, 2021, en ligne.