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17 novembre 2017

Par Sarah Bourgeois-Lessard 

Conseillère juridique volontaire

 

Tel que prévu, le procès de l’ex-chef d’État et général de l’armée, José Efraín Ríos Montt, s’est amorcé en matinée le 13 octobre à huis clos, ce dernier bénéficiant d’une procédure spéciale en raison de son inaptitude pour cause de démence. En après-midi, le procès public de l’ancien directeur du renseignement militaire et général, José Mauricio Rodriguez Sanchez, s’est également réinitié.

 

Partagé entre émotions, déni, colère et soif de justice, le Guatemala a une fois de plus rendez-vous avec l’Histoire.

 

Coup de théâtre lors de la première audience

 

Dès la première semaine, deux des trois avocats de la défense de Ríos Montt ont été expulsés par le Tribunal suite à leur dépôt d’une demande de récusation des juges. Les avocats les accusaient d’avoir fait preuve d’abus de pouvoir dans leur prise de décisions au début du procès en 2015.

 

 

Audience de Rodriguez Sánchez

 

Ce manque de respect et d’éthique envers le Tribunal leur a valu une expulsion définitive, laissant leur troisième collègue seule pour assurer la défense de l’ancien militaire. Cette dernière ne semble cependant pas ébranlée et continue à faire vaillamment son travail chaque semaine.

 

Toutefois, ce procès n’étant pas accessible au public ni aux médias en raison de l’état de santé mentale de l’accusé, les répercussions de cette décision ont, somme toute, été assez limitées.

 

Les documents militaires : preuve de l’intention et de la planification génocidaire

 

Afin de démontrer l’intention et la planification génocidaire par les accusés dans la région maya Ixil, les avocats du Ministère public et des représentants des victimes procèdent chaque semaine à la lecture détaillée de divers plans et manuels militaires. Ces documents établissent les orientations et les objectifs de l’armée de même que les procédures à suivre lors des interventions à l’encontre de la population.

 

Concrètement, ces documents indiquent notamment les techniques de contrôle routier, de fouille des maisons, de capture, d’interrogatoire tactique (comprendre ici de torture) et d’élimination définitive des personnes dites ennemies du régime.

 

Certains de ces plans et manuels vont même jusqu’à décrire en détail les réalités propres à différentes régions du pays afin de faciliter et de garantir la réussite des interventions militaires planifiées, dont les nombreux massacres qui ont été réalisés par les forces armées.

Également, il est fascinant de voir avec quelle ampleur la doctrine de l’« ennemi intérieur », constitué des membres de la guérilla et de la population civile les appuyant, était utilisée pour justifier toutes formes d’élimination violentes sans procès juste et équitable, un simple doute suffisant alors pour agir.

 

Les témoins : la mémoire vivante des disparus

 

Certains témoins ont également été appelés à la barre durant ce premier mois. À cet effet, une experte de la Fundación de Antropología Forense de Guatemala (FAFG) a été interrogée sur les exhumations des corps qui ont été réalisées par son équipe en 2008.

 

Elle a été questionnée sur les procédés utilisés de même que sur ses observations concernant la position des corps et des objets retrouvés. La défense a, quant à elle, tenté de remettre en question son travail en suggérant que les fosses retrouvées constituaient en fait des cimetières clandestins des victimes du tremblement de terre de 1976 qui a fait près de 23 000 morts au pays.

 

 

Deux victimes survivantes ont également relaté avec émotions leurs souvenirs des massacres perpétués par l’armée à l’automne 1982 dans la région de Santa María Nebaj, Quiché, au cours desquels ils ont perdu plusieurs proches. Remerciant les juges de les écouter, ces derniers ont soutenu avec vigueur vouloir obtenir justice pour de bon.

 

Il s’agit d’un exercice difficile pour eux puisque cela implique de se replonger dans de douloureux souvenirs, de se présenter pour la deuxième fois devant un tribunal de la capitale et, cette fois, de relater à deux reprises au cours de la même journée leur témoignage sans émettre la moindre contradiction étant donné que les deux procès sont des procédures officiellement distinctes. Néanmoins, grâce à une bonne préparation avec les avocats et à leur courage, ces derniers ont su relever avec brio ce défi personnel.

 

Lorsque de tels témoignages sont livrés, une grande attention et un profond respect s’installent dans l’assistance. À chaque fois je me pose intérieurement la même question lorsque je les écoute : comment un ou des êtres humains ont-ils été capables de faire une telle chose à leurs pairs? De ce fait, il m’est impossible de demeurer insensible aux horreurs et aux douleurs ainsi décrites et de ne pas ressentir une grande frustration et un sentiment d’injustice à l’égard de ces graves violations des droits humains.

 

Des attentes pour la suite

 

Lentement mais surement, les avocats de la poursuite présentent leurs preuves au Tribunal à raison de quelques heures par semaine le vendredi. Cet horaire inhabituel octroyé par le système judiciaire guatémaltèque contribue grandement au ralentissement des procès de même qu’à l’atténuation de leurs répercussions médiatiques et de l’assistance à la cour. Selon ces mêmes avocats, cette façon de procéder serait volontaire et constituerait un obstacle déguisé pour restreindre l’accès à la justice.

 

En effet, le procès présentement en cours se déroule dans la plus grande indifférence de la population puisqu’il est à peine couvert dans les médias locaux. Seules l’annonce de sa reprise et la première audience ont réellement créé un engouement. Malheureusement, depuis, quelques notifications apparaissent timidement dans les médias le vendredi en fin de journée et dans la presse du samedi, moments où ceux-ci rejoignent un public beaucoup plus restreint au pays.

 

Néanmoins, à compter du 6 décembre, il est prévu que les audiences suivront leurs cours tous les jours, ce qui relance l’espoir d’en arriver à un jugement dans un avenir pas si lointain.

 

Sur l’auteure

 

Sarah Bourgeois-Lessard est conseillère juridique volontaire déployée au Guatemala dans le cadre du projet Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF) mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR). Elle agit depuis le 22 mai dernier au sein de l’organisation partenaire Centro para la acción legal en derechos humanos (CALDH).