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21 février 2020

Thésée-Aurore Makaba

Conseillère juridique volontaire

 

J’y suis arrivée convaincue que, dans les mois qui suivraient, je déchanterais rapidement et que je partirais en courant vers d’autres cieux. J’ai été captivée par l’hospitalité chevaleresque des Maliens: vous êtes très vite invités dans des familles qui partagent leurs repas avec vous et vous enseignent les us et coutumes, vous apprenez à dire « bonjour », puis « bonsoir », pour finalement comprendre que les chiffres en bambara, incompréhensibles, peuvent également être dits en français.

 

Ce fût étrange pour moi de voir cette constante bienveillance et bonne humeur et cette perpétuelle main tendue pour vous guider et vous aider à vous intégrer. Aussi, il y a toute cette vie de famille, de bandes et de copains que forment les coopérant.e.s entre eux, en se soutenant face à l’adversité, la complexité et les défis de notre travail quotidien. C’est vital!

 

Le principe de centralité des victimes est au cœur de nos actions

 

Dans le cadre de mon travail, j’ai apporté mon soutien aux acteurs maliens qui travaillent dans le domaine de la justice transitionnelle. Il s’agit d’un appui essentiellement technique aux institutions étatiques telles que la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) et aux organisations de la société civile malienne dans leurs efforts contre l’impunité des auteurs de crimes graves et en nous assurant la participation efficace des victimes dans le processus de justice transitionnelle.

 

Les actions que nous avons menées dans le cadre du projet JUPREC étaient essentiellement liées à du plaidoyer au niveau national et international, du renforcement des capacités et de l’accompagnement juridique des victimes.

 

Nous avons travaillé avec les victimes de la crise de 2012 afin de les impliquer dans les décisions prises en leur faveur et, à cet effet, nous nous sommes constamment assurés de leur compréhension des mécanismes de justice transitionnelle mis en œuvre au Mali.

 

Nous avons réfléchi à une réponse légale et légitime que peuvent apporter les institutions maliennes à la question des réparations en faveur des victimes de la crise de 2012. À cet effet, un rapport a été publié en 2018 à la suite de consultations menées auprès de 3.700 victimes au Mali sur leurs attentes et besoins. Il expose des solutions sur les réponses du Mali quant aux stratégies légales et légitimes de mise en œuvre du droit des victimes à la réparation. Réponse légale puisqu’il s’agit de mettre en évidence les normes nationales et internationales qui s’appliquent au contexte du Mali tout en s’inspirant des expériences des autres pays en la matière.

 

Il s’agit, par exemple, de mettre l’accent sur les normes violées et les formes adéquates et efficaces de réparation en droit international, en prenant en compte les préjudices subis par les victimes. Il s’agit aussi d’une réponse légitime, puisque nous confrontons les attentes des victimes aux mécanismes de réparation classique existants afin de les adapter aux besoins des victimes aujourd’hui.

 

Fierté, diversité et authenticité

 

Je suis fière de mon travail, tous les jours!

 

Mais au-delà de l’aspect professionnel très enrichissant que m’apporte mon expérience au sein d’Avocats sans frontières Canada au Mali, ce pays m’a ébloui par sa beauté « authentique ». C’est l’un des plus beaux pays d’Afrique de par sa riche diversité et sa culture profondément ancrée dans les valeurs de l’Afrique et de la culture musulmane. L’on peut encore entendre dans les rues de Bamako des conversations entre personnes se disant descendantes des grands héros de l’empire du Mali.

 

 

Les rues de Bamako

 

Pendant des longues années d’études mes enseignants ont mentionné les noms de Tombouctou comme le nouvel Eldorado de la culture, de Gao comme l’un des comptoirs commerciaux les plus importants. Ils n’ont pas arrêté de me parler de Soundiata Keita, de Kanku Moussa et du fleuve Niger. Je me considère chanceuse de voir et sentir ces choses apprises à l’école.

 

Le Mali est un pays qui concilie humidité et sécheresse, valeurs laïques, africaines et musulmanes; il est en contraste avec l’Occident quant à son approche architecturale et sa construction sociale et politique. Le Mali c’est aussi les déserts, les dunes et une histoire lourde. À l’instar des États africains qui ont connu au moins une crise indépendantiste et une guerre civile, le Mali a connu trois coups d’États et quatre conflits armés. Les stigmates de ces périodes sombres sont encore portés autant par les corps des humains que par les murs des institutions.

 

Près de dix coopérant.e.s volontaires travaillent tous les jours, avec détermination et passion, avec les acteurs nationaux pour le retour vers la paix, et le chemin reste long…

 

Mais, croyez-moi, je le répète, c’est un des plus authentiques pays d’Afrique. J’y ai fait des rencontres exceptionnelles de gens très ambitieux, de jeunes militants courageux et beaux quand ils parlent des droits humains.

 

De Kidal à Kayes, de Mopti à Tombouctou, le Mali est majestueux. Alors, oui, on veut très vite y rester et y apprendre des enfants dans la rue, des femmes et des hommes à qui on dit « I ni ce » et « I ni sogoma » tous les matins et partager des plats de zamé lors d’un mariage ou d’une rencontre très conviviale.

 

Qu’est-ce que je disais ? Ah oui : je vous souhaite d’y passer… vous ne voudrez plus partir…

 

Sur l’auteure

 

Thésée-Aurore Makaba est conseillère juridique volontaire au sein du projet « Stabilisation » de la Commission de la Vérité, Justice et Réconciliation (SCVJR).