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18 septembre 2023

Graffiti aperçu dans les rue de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso © ASFC

Par Jade Blouin-Lessard

Conseillère juridique volontaire

 

Dans la nuit du jeudi 29 septembre 2022, des tirs éclatent dans certains quartiers qui abritent la junte militaire à Ouagadougou. Je me trouve à quelques kilomètres de là, dans ma chambre d’hôtel, et ignore complètement le tumulte qui a lieu dans les rues de la capitale du Burkina Faso.

 

Le lendemain matin, le vendredi 30 septembre, je reçois l’instruction de me confiner à l’hôtel. L’agitation ayant débuté durant la nuit se poursuit toujours.

 

Tout au long de la journée, je demeure dans l’incompréhension, attendant des nouvelles claires de la situation. Ce n’est que tard dans la soirée, alors au restaurant de l’hôtel avec deux collègues d’Avocats sans frontières Canada, que j’ai enfin confirmation des évènements. À la télévision, le commandant Ibrahim Traoré annonce un contrecoup d’État, révélant qu’une faction dissidente de l’armée burkinabè venait de renverser la junte militaire, elle-même qui avait renversé le pouvoir plus tôt en janvier. Je vivais le second coup d’État connu par le Burkina Faso en 2022.

 

La journée venait de prendre une tournure inattendue, mais surtout irréelle. Ma surprise est empreinte de perplexité, c’est comme si une part de moi résiste à croire ce qui se passe. Mais c’est bien vrai… La dissolution du gouvernement est déclarée et un nouveau gouvernement est formé. Cette journée d’incertitudes est un rappel de l’instabilité croissante dans le pays et a confirmé l’importance pour la coopération internationale de s’y trouver.

 

Ces évènements se sont déroulés lors d’une mission que j’ai effectuée dans le cadre de mon mandat de coopération volontaire pour PLURIELLES, projet phare d’Avocats sans frontières Canada en Afrique de l’Ouest. Ce dernier vise à renforcer la santé et les droits sexuels et reproductifs des Béninoises, des Burkinabè et des Maliennes. Au moment du coup d’État de janvier 2022, le projet est toujours en phase de démarrage et entame le recrutement de trois personnes coopérantes volontaires qui seront déployées, une pour chaque pays. J’ai été choisie pour appuyer l’équipe du Burkina Faso. Devant l’aggravation de l’instabilité sociopolitique et de la crise sécuritaire dans le pays, il a été entendu que mon déploiement s’effectuerait depuis le bureau du Bénin et que mon mandat aurait lieu à distance avec mes collègues basés au Burkina Faso.

 

Jade Blouin-Lessard, conseillère juridique volontaire © ASFC

 

Mon mandat est unique. La plupart de mes échanges et réunions sont organisés en ligne. Cela me donne une certaine liberté et une grande autonomie dans la réalisation de mes tâches. Une grande partie de mon mandat a été consacrée à la réalisation de l’état des lieux du cadre juridique et institutionnel relatifs aux droits à la santé sexuelle et reproductive et à la lutte aux violences basées sur le genre au Burkina Faso. Cet état des lieux a permis de mettre en lumière les insuffisances et les incompatibilités du droit interne burkinabè avec les standards internationaux en matière de droits sexuels et reproductifs et de lutte aux violences basées sur le genre. On note, par exemple, la pénalisation de l’avortement (sauf pour quelques exceptions) qui est contraire au droit international.

 

Afin de faciliter l’avancement de ce travail, j’ai pu effectuer cette mission à Ouagadougou. Cela m’a également donné l’opportunité de finalement rencontrer mes collègues en personne. La situation sécuritaire au Burkina Faso dans les semaines précédant la mission permettait mon déploiement et rien ne pouvait indiquer ce qui s’apprêtait à survenir le 30 septembre 2022.

 

Pendant les jours qui ont suivi l’annonce du coup d’État, les frontières terrestres et aériennes ont été fermées. Avocats sans frontières Canada a suivi la situation de près et nous a tenus informés des développements. Nos consignes étaient claires. Mes collègues et moi sommes restés confinés à l’hôtel. L’atmosphère était tendue devant les circonstances, mais soutenus, nous sommes restés dans un état d’esprit calme et rationnel. Après la démission du président renversé Paul-Henri Sandaogo Damida, un semblant de normalité a été retrouvé assez rapidement et à mon plus grand étonnement. Le lundi suivant, les frontières ont rouvert et le travail a repris.

 

Durant mon séjour, des ateliers et des rencontres avec des actrices et acteurs de la société civile ont eu lieu, de même qu’avec des instances étatiques. Un de ces ateliers regroupait plusieurs organisations de défense des droits des femmes et des adolescentes. Celui-ci a fait ressortir les besoins en matière de plaidoyer dans le pays et m’a permis de mieux comprendre le contexte dans lequel s’inscrit le projet PLURIELLES.

 

Pour moi, cet évènement est inusité, mais pour la société civile, il faut vivre avec cette instabilité sociopolitique et cette menace pour la démocratie. Je reste donc marquée par son engagement et par son travail de défense des droits humains maintenus malgré l’insécurité au quotidien.

 

Sur l’autrice 

 

Jade a été déployée au Bénin dans le cadre du projet PLURIELLES – Renforcer la santé et les droits sexuels et reproductifs au Bénin, Burkina Faso et Mali, mis en oeuvre en consortium avec Santé monde et Socodevi, grâce au soutien financier du gouvernement canadien, à travers Affaires mondiales Canada.