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31 janvier 2018

Diana P. Carvajal

Conseillère juridique volontaire

 

31 août 2017. La petite équipe de travail à l’Asociación Pro-Derechos Humanos (APRODEH) m’accueille dans ses modestes bureaux remplis de dossiers concernant, pour la plupart, des cas les plus représentatifs de l’histoire du conflit armé péruvien. Gloria Cano, Directrice exécutive de cette organisation partenaire d’Avocats sans frontières Canada au Pérou, m’explique les grandes lignes de travail pendant qu’au téléphone, elle donne des instructions sur la position de l’organisation, à la suite d’une récente décision dans un procès mené pendant plus de 20 ans.

 

Nous parcourons ensuite les bureaux et je commence à mieux comprendre comment, à côté du travail du département juridique, l’organisation fait la promotion et la défense des droits des personnes en situation de handicap, la protection et la promotion des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, de même que la reconstruction de la mémoire historique afin de maintenir vivant le souvenir des victimes de violence.

 

L’art d’arriver au bon moment!

 

Ma première journée a été une journée mémorable chez APRODEH. Après plus de 30 ans de l’occurrence des faits du dossier “Los Cabitos”, qui concerne de graves violations commises par les forces armées de l’État contre des citoyens de la province d’Ayacucho, le jugement vient d’être rendu. Enfin, les victimes se sont vues accorder des indemnisations, ce qui est considéré un motif de contentement.

 

Pourtant, le travail en faveur de ces victimes est loin d’être fini. La décision du tribunal reconnait la responsabilité de deux des neuf accusés. Une réserve de condamnation (similaire à l’ordonnance de probation, mais sans l’intervention d’un agent chargé du suivi de la conduite du condamné) a été imposée à deux des accusés à cause de leur sénilité. Un des accusés a été acquitté et les quatre restants sont déjà décédés.

 

Malheureusement, sous l’argument que la violation n’a pas été prouvée, la décision du tribunal ne reconnait pas la disparition forcée de plus de 40 victimes, malgré l’existence de nombreux témoignages présentés au procès.

 

Le temps, ça vaut de l’or!

 

Je suis alors mise rapidement au courant des principaux axes thématiques de l’organisation. Mon appui est particulièrement convoité pour la représentation devant les tribunaux des personnes et des communautés dont les droits fondamentaux sont violés. Parmi ces cas, certains sont présentés devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CourIDH) tandis que d’autres font l’objet de poursuites pénales au niveau national.

 

Le temps presse. Les membres de l’équipe juridique doivent commencer tout de suite à développer des arguments pour attaquer une autre décision judiciaire, qui nous a été signifiée durant la semaine de mon arrivée à Lima, où le tribunal a accepté les arguments de la défense et déclaré la cessation de l’action pénale contre les responsables de sept cas de disparition forcée dans la base militaire de Huancapi.

 

Les militaires concernés auraient été jugés et acquittés en 1998 du crime homicide sur les mêmes victimes. Le défi pour APRODEH sera de démontrer qu’il y a eu “fraudulent res judicata”1 par la violation du devoir d’enquêter avec diligence raisonnable et exhaustivité.2 En effet, les familles des victimes continuent sans connaître la sorte des personnes disparues et l’État est dans l’obligation de garantir le droit à la vérité et à la justice.3

 

En somme, nous n’avons que dix jours pour présenter les allégations qui soutiennent les recours en appel dans deux gros dossiers. Ce sera une course contre-la-montre et la première difficulté ne tarde pas à se présenter. Les textes des jugements n’ont pas été envoyés par les tribunaux parce qu’ils n’ont pas été signés par tous les juges (qui discutaient toujours du fond de l’affaire lors de la lecture du jugement).

 

Ceci fait en sorte que l’équipe juridique doit tenter de construire l’appel sur la base seulement des notes prises lors de l’audience de lecture de la décision. Ce n’est pas l’idéal mais on ne peut pas se permettre de perdre du temps!

 

Des découvertes touchantes, une collaboration inspirante

 

La recherche juridique préliminaire m’a mené à revoir des décisions précédentes de la CourIDH. Cette relecture me révèle le fait que je travaille maintenant auprès de l’avocate qui a représenté les victimes dans des dossiers impressionnants comme celui de Barrios Altos (Me Gloria Cano).

 

Ce cas emblématique fut plaidé pendant que le conflit entre le gouvernement et le groupe révolutionnaire armé « Sendero Luminoso » était toujours en cours. Un an après la fin du conflit armé, l’État péruvien, sous la présidence de l’ex-dictateur Fujimori, a été reconnu coupable de violations et les lois d’amnistie adoptées dans le but de permettre au responsables d’échapper à la justice furent déclarées invalides.

 

Jusqu’à présent, mon approche vis-à-vis de ces dossiers n’avait été que dans le cadre de mes études en droit international des droits humains. Maintenant, il m’est possible d’affirmer que j’ai appris à valoriser concrètement le travail de ces avocat-e-s engagé-e-s dans les causes des plus vulnérables.

 

APRODEH: une organisation admirable, un travail remarquable!

 

Dans le but de maintenir vivant la mémoire des victimes, APRODEH a appuyé la réalisation d’un hommage aux victimes, principalement des étudiants universitaires, enfants et adolescents qui ont subi des attaques des différentes parties au conflit. L’évènement commémorait le 14e anniversaire du rapport de la Commission de la Vérité et la Réconciliation sur la violence armée au Pérou.

 

En présence de d’un rassemblement des étudiants, d’organisations de défense des droits humains, de représentants de l’État et de citoyens, une mère a brièvement témoigné de sa douleur persistante, plus de 20 ans après la perte de son enfant de huit ans, aux mains des membres des forces armées. Les nouvelles générations ont entendu quelques autres témoignages dont le but était de réveiller la conscience historique des abominables faits qui ont endeuillé la mémoire péruvienne.

 

L’évènement fut magnifiquement clôturé par un groupe d’étudiants universitaires avec « En tu vibrar mi quebranto », œuvre artistique composée des différentes pièces, incluant du théâtre, de la danse et de la musique, qui recréait avec un esprit critique et de réflexion, la mémoire des innocents qui ont succombé à la violence.

 

Mes deux premières semaines à Lima démontrent ainsi à quel point ma mission sera bondée d’un travail plus qu’intéressante et surtout pleine de défis et activités. Contribuer avec ASFC à soutenir concrètement le travail des défenseurs de droits humains qui luttent à contrecourant avec les difficultés liées notamment à la corruption est, à la fois, une grande responsabilité et une source d’inspiration.

 

Sur l’auteure

 

Diana P. Carvajal est conseillère juridique volontaire déployée au Pérou dans le cadre du projet « Protection des enfants, femmes et autres collectivités en situation vulnérable» (PRODEF) mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR), grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada. Á l’heure actuelle, elle appuie le volet litige stratégique dans l’organisation partenaire Asociación Pro-Derechos Humanos (APRODEH).

 

Références

 

1 – Cas Carpio Nicolle et al. c. Guatemala. Fond, réparations et coûts, Jugement du 22 novembre 2004, Cour Inter-Am DH., série C Nº 117, para 131; Cas Almonacid Arellano et al c. Chile, Exceptions préliminaires, fond, réparations et coûts, Jugement du 26 septembre 2006, Cour Inter-Am DH., série C Nº para 154.

2 – Cas Jeremías Osorio et famille c. Pérou, Exceptions préliminaires, fond, réparations et coûts, Jugement du 26 novembre 2013, Cour Inter-Am. DH., série C Nº 274, para 199.

3 – Cas Tibi c. Ecuador, Exceptions préliminaires, fond, réparations et coûts, Jugement du 7 septembre 2004, Cour Inter-Am DH., série C Nº 114, para 256; Cas Myrna Mack Chang c. Guatemala, Fond, réparations et coûts, Jugement du 25 novembre 2003, Cour Inter-Am. DH., série C Nº 101, para 274; Cas Jeremías Osorio et famille c. Pérou, Exceptions préliminaires, fond, réparations et coûts, Jugement du 26 novembre 2013, Cour Inter-Am. DH., série C Nº 274, paras 178 y 179.