• Blogues

8 décembre 2022

Abdon Shabani

Conseiller juridique volontaire

 

Afin de donner la parole aux victimes, la Commission Vérité Justice et Réconciliation du Mali (CVJR) a organisé des audiences publiques qui sont une occasion pour les victimes de graves violations des droits humains de s’exprimer, de témoigner et de partager leurs souffrances avec la nation malienne. C’est aussi une opportunité pour ces dernières d’enclencher un processus de guérison, d’être soutenues et reconnues dans leur dignité.

 

À ce jour, la CVJR a organisé cinq audiences publiques. Dans le cadre de ce blogue nous allons nous appesantir sur la 5ème, qui avait pour thème : « Les femmes victimes des violences sexuelles et les enfants victimes des conflits ».

 

De 1960 à nos jours , le Mali a connu plusieurs crises (coup d’État, instabilité politique, attaques terroristes, etc.), c’est ainsi que dans le cadre de la construction de la paix et de la réconciliation qui fait suite au conflit déclenché en janvier 2012 au nord du pays, le gouvernement malien et certains groupes armés ont signé un accord à Alger (Accord pour la Paix et la Réconciliation).

 

Cet accord prévoit à son article 46 du chapitre 4 la création d’une Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), qui a pour mission de « contribuer à l’instauration d’une paix durable à travers la recherche de la vérité, la réconciliation et la consolidation de l’unité nationale et des valeurs démocratiques ». Ainsi, conformément à l’article 3 de l’ordonnance n°2019-023/P-RM du 15 janvier 2014, la CVJR a un mandat explicite en matière de recherche de la vérité. Celui-ci consiste à faire la lumière sur les violations graves des droits humains commises au Mali entre 1960 et 2019.

 

Les témoignages des femmes victimes des violences sexuelles et des violences basées sur le genre

 

En date du samedi 11 juin 2022 s’est tenue la 5ème audience publique de la CVJR à Bamako. Douze victimes dont dix femmes et deux enfants ont témoigné. J’ai été ému par les témoignages glaçants des femmes victimes des viols collectifs. Personne n’est resté indifférent face aux atrocités subies par ces femmes. D’un côté, il y avait des commissaires en larmes, et de l’autre, des représentant.e.s des ONG et des institutions publiques choqué.e.s.

 

Parmi ces témoignages, celui qui m’a le plus marqué est celui d’une femme violée par 7 hommes, présumés djihadistes, devant son mari et son fils, contraints d’assister à la scène. Cette femme a déclaré que, à la suite de cet évènement malheureux, son mari s’en est allé, la laissant seule avec six enfants, et que son fils ne lui parle plus, traumatisé.

 

La dame a raconté que ces sept hommes ont pris tous ses biens de valeurs et que, depuis lors, elle n’arrive plus à subvenir aux besoins de ses enfants, parmi lesquels on compte deux diabétiques qui ne reçoivent pas des soins adéquats. La dame a aussi déclaré qu’elle n’a pas de travail et qu’à ce jour elle n’arrive plus à payer son loyer.

 

Plusieurs témoignages ont suivi celui de cette dame, relatant des faits tragiques de viols collectifs, pillages, coups et blessures, mariages forcés, mutilations, etc. Il faut préciser qu’à la suite de ces évènements malheureux certaines femmes ont été abandonnées par leurs proches et que d’autres n’ont pas eu accès aux soins appropriés à cause du manque de moyens financiers ou à cause de l’absence des structures sanitaires dans leur village.

 

Cette audience publique était non seulement une occasion pour les victimes des violences sexuelles de s’exprimer et d’être écoutée par les autorités, mais aussi une opportunité pour briser la glace dans une société où l’on peine à criminaliser les violences basées sur le genre (VBG).

 

La problématique de la criminalisation des VBG au Mali

 

Selon une Étude démographique de Santé, au Mali : « 2 % des femmes ont eu un comportement violent à l’égard de leur mari (sans agression du conjoint à leur encontre) et 5 % ont riposté à l’agression de leur conjoint. Par ailleurs, 45 % des femmes maliennes (entre 15-49 ans) ont été victimes des violences physiques et sexuelles ».

 

Par ailleurs, force est de constater que malgré le fait que la 5ème audience publique de la CVJR se soit tenue sous le thème : « Les femmes victimes des violences sexuelles et les enfants victimes des conflits » et que le nombre des femmes victimes des VBG ne cesse d’augmenter au Mali, il n’existe aucune loi spécifique qui les criminalise. En guise de rappel, l’initiative pour l’adoption d’une loi VBG a échoué par le lobbying des forces conservatrices.

 

En définitive, les victimes des VBG n’ont pas de moyens d’obtenir justice d’autant plus que le cadre juridique du pays ne permet pas de manière claire de poursuivre leurs bourreaux. En revanche, la 5ème audience publique de la CVJR était donc un cadre qui a permis aux victimes des VBG de s’exprimer et de formuler des recommandations pour la non répétition de ces crimes à l’attention des autorités et de la société malienne.

 

Ainsi, personnellement j’espère qu’un jour le débat sera ravivé et que les efforts de la société civile permettront de convaincre l’État malien à criminaliser les VBG, malgré les résistances dues à la pesanteur sociale.

 

Sur l’auteur 

 

Abdon est conseiller juridique volontaire dans le cadre de notre programmation au Mali.