Le système de justice péruvien doit mieux répondre aux spécificités des mineur.e.s
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11 septembre 2019
Virginie Beaubien
Conseillère juridique volontaire
Instituto Promoviendo Desarrollo Social – IPRODES travaille actuellement à l’élaboration d’un diagnostic de l’accès à la justice pour les enfants et adolescents victimes et/ou témoins de violence au Pérou. Ce diagnostic a pour objectif de permettre l’élaboration d’une route d’attention aux enfants et adolescents victimes de violence et d’émettre des conclusions et recommandations afin de supprimer les lacunes identifiées.
Pour ce faire, l’organisation a étudié 26 cas de la Cour de justice supérieure de quatre régions prioritaires du pays (Loreto, Ucayali, Huancavelica et Carabayllo – Lima) d’enfants ou d’adolescents victimes de violence physique et/ou sexuelle.
IPRODES s’est inspirée des Lignes directrices en matière de justice dans les affaires impliquant les enfants victimes et témoins d’actes criminels de l’ECOSOC afin d’être en mesure de dénoter les lacunes au pays. Ces Lignes directrices ont été développées en tenant en compte que les enfants victimes et témoins sont particulièrement vulnérables et requièrent une protection particulière adaptée à leur âge, leur degré de maturité et leurs besoins individuels particuliers. Cela permet de leur éviter de vivre des épreuves et traumatismes supplémentaires du fait de leur participation au processus de justice.
Voici donc un résumé des lacunes les plus importantes et fréquentes rencontrées dans les 26 cas à l’étude. Il est à noter que ne sont présentées ici que les problématiques ; il ne faudrait pas croire qu’aucun cas ne contenait des procédures adaptées ou des réalisations de concordance avec les normes internationales soulevées.
Droit d’être protégé contre la discrimination
« Les enfants victimes et témoins devraient avoir accès à un processus de justice qui les protège contre toute discrimination […] Le processus de justice et les services de soutien disponibles pour les enfants victimes et témoins et leurs familles devraient être adaptés à l’âge, aux souhaits, à la faculté de compréhension, au sexe, à l’orientation sexuelle, etc. […] L’âge ne devrait pas constituer un obstacle au droit d’un enfant de participer pleinement au processus de justice. Tout enfant devrait être traité comme étant apte à témoigner et son témoignage ne devrait pas être présumé irrecevable ou non fiable du seul fait de son âge. »
Discrimination basée sur la situation d’adolescente de la victime
Lorsqu’il s’agissait de victimes d’agression sexuelle adolescentes, plusieurs questions des policiers lors de la dénonciation laissent percevoir une discrimination basée sur le sexe, l’âge et la situation d’adolescente de la victime. On a notamment demandé à la victime à quel âge elle a perdu sa virginité, combien de partenaires sexuel.le.s elle a eu, si elle boit de l’alcool ou si elle a reçu de l’argent de son agresseur.
L’âge de la victime et la spécificité du crime d’agression sexuelle n’ont pas été pris en compte
Nous avons observé à plusieurs reprises que le développement des enfants (en termes de langage et de perception du temps) et le traumatisme subi par les victimes n’a pas été pris en compte, notamment lorsqu’il était attendu de celles-ci qu’elles décrivent les évènements avec précision. Dans un même ordre d’idée, une victime n’a pas été traitée comme un témoin capable et son témoignage a été jugé invalide et non crédible car « elle ne fixait pas son regard, avait tendance à détourner son regard au moment de raconter ce qui s’est passé, était mal à l’aise et faisait des mouvements avec sa bouche ».
Droit à la participation
« Tout enfant a le droit, d’exprimer, librement et dans ses propres mots, ses points de vue, opinions et convictions, et de contribuer en particulier aux décisions qui affectent sa vie, notamment celles prises lors du processus judiciaire. Il a également le droit à ce que ces vues soient prises en considération en fonction de ses aptitudes, de son âge, de sa maturité intellectuelle et de l’évolution de ses capacités. »
Le consentement des victimes pour les examens médico-légales n’a pas été pris en compte
De manière générale, les victimes n’ont pas semblé directement informées des examens médico-légales qu’elles devaient passer, c’est plutôt le consentement des parents les accompagnant que l’on retrouve sur la majorité des certificats. Il a même été observé qu’un tel examen, alors qu’il n’était pas nécessaire, a tout de même été passé. Nous doutons donc que la victime en ait été informée clairement ou que son consentement ait été demandé.
Les victimes n’ont pas toujours été en mesure de s’exprimer dans leurs propres mots et langue
Lors de leur témoignage ou évaluations psychologiques, les victimes dont l’espagnol n’est pas la première langue n’ont généralement pas été accompagnées par un interprète. Par exemple, il est possible de lire dans la conclusion d’une évaluation psychologique que « le mineur ne parle pas couramment une langue qui permet de recueillir des informations pertinentes sur la raison de la consultation ». Par conséquent une seconde évaluation n’a pas eu lieu.
Droit d’être protégé contre des épreuves pendant le processus de justice
« Les professionnels devraient prendre des mesures pour éviter des épreuves aux enfants victimes et témoins lors de la détection, de l’enquête et des poursuites, afin que leur intérêt supérieur et leur dignité soient respectés. »
Les procès n’ont pas été accélérés
Des délais excessifs ont été notés dans plusieurs cas, que ce soit dans l’obtention de documents, dans la localisation de l’accusé.e ou des témoins, dans l’ouverture des audiences, dans la réponse aux demandes des parties, etc. Parmi les délais observés, à partir de la date de dénonciation, nous avons notamment retenus ceux de deux ans pour l’évaluation psychologique de l’accusé, d’onze ans pour l’évaluation psychologique de la victime et de douze ans pour la sentence. De longues enquêtes peuvent mener les victimes à retirer leur déclaration, comme nous l’avons observé dans certains cas.
La déclaration des victimes n’est pas toujours unique ou adaptée
Bien que dans certains cas la victime n’a déclaré qu’une seule fois, nous retrouvons plusieurs exemples de victimes qui ont dû raconter plus d’une fois les faits. De plus, les salles d’entrevue n’étaient pas adaptées aux enfants. Il est même arrivé à plus d’une reprise que la déclaration initiale de la victime ait lieu au même endroit et au même moment que celle de l’accusé.
Dans seulement un cas, la déclaration initiale a été réalisé par un professionnel psychologue. Les déclarations dans de telles situations défavorables tendent à revictimiser les victimes. La revictimisation des enfants victimes et témoins, en particulier dans les cas d’exploitation sexuelle, peut causer de graves séquelles physiques, psychologiques et émotionnelles.
Droit à la réparation
« Les enfants victimes devraient, lorsque c’est possible, obtenir réparation pour permettre le rétablissement de la situation antérieure, la réinsertion et la réadaptation. Les procédures pour obtenir réparation et en exiger l’application devraient être adaptées aux enfants et leur être facilement accessibles. »
Les réparations ont été rares ou de moindre valeur
Parmi les cas étudiés, seulement 16 ont mené à une condamnation et par conséquent à une réparation monétaire. La moyenne monétaire de ces 16 réparations est de 1480 soles, c’est-à-dire environ 600 $ canadien, le plus petit montant accordé étant d’aussi peu que de 30 $. De plus, même lorsqu’une réparation monétaire a été accordée, son exécution n’a pas toujours été facile. Par exemple, un père a dû envoyer une carte au tribunal 5 mois après la sentence, car il n’avait toujours pas reçu le paiement dû à son enfant.
Le rétablissement de la situation antérieure, la réinsertion et la réadaptation n’ont généralement pas été pris en compte
Seules quelques sentences prévoient une réparation autre que monétaire, comme une thérapie pour la victime ou pour des membres de sa famille et/ou entourage. Presqu’aucune n’envisage une réinsertion sociale et/ou éducative, des traitements médicaux, des soins de santé mentale ou des services juridiques.
Sur l’auteure
Virginie Beaubien est conseillère juridique volontaire déployée au Pérou auprès de l’organisme IPRODES depuis avril 2019 dans le cadre du projet « Protection des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables » mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR) grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.