Le procès entourant le meurtre de Berta Cáceres: qu’en est-il de la représentation des victimes ?
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31 octobre 2018
Par Liza Yelle
Conseillère juridique volontaire
La mort de Berta Cáceres a endeuillé des milliers de militants qui croient à un avenir meilleur pour le Honduras et à un plus grand respect des droits autochtones et environnementaux dans le monde. Toutefois, ceux ayant le plus souffert de sa mort sont ses proches, notamment ses quatre enfants et sa mère qui luttait aussi pour la reconnaissance des droits du peuple autochtone Lenca.
Au Honduras, comme dans d’autres juridictions civilistes, les victimes d’un crime peuvent se constituer en accusateurs privés. Cela leur permet, en plus du droit à l’information normalement accordé à la victime, de participer comme parties dans le processus judiciaire, afin d’intervenir et de proposer des moyens de preuve. Dans le dossier des huit premiers accusés de l’assassinat de Berta Cáceres, il y avait initialement trois équipes d’accusation privée. Une équipe pour les trois filles et la mère de Berta Cáceres, une équipe pour son fils et une équipe pour la victime de tentative d’assassinat.
Normalement, le ministère public travaille de concert avec l’accusation privée, mais dans ce cas-ci, les deux parties sont en désaccord depuis le début du processus sur un très grand nombre de points concernant la stratégie de litige dans le dossier. Les victimes ont eu une très grande difficulté à accéder à la preuve que possède le ministère public et, de ce fait, la relation de confiance est peu existante entre les parties. La relation s’est à un tel point détériorée, que des victimes ont présenté une dénonciation contre les procureurs dans le dossier pour abus d’autorité, violations des devoirs des fonctionnaires et désobéissance. Dans la dénonciation, ils affirment que les procureurs du ministère public n’ont pas mené une enquête conforme aux standards de la loi, n’ont pas porté des accusations pour tous les crimes reliés au dossier et n’ont pas respecté plusieurs ordonnances du tribunal concernant la divulgation des preuves et de l’information.
Le 19 octobre 2018, les représentants des victimes ont présenté un amparo (l’équivalent d’une injonction constitutionnelle) contre l’inadmissibilité d’un appel de fait en lien avec le rejet d’une demande de récusation contre les juges dans le dossier. En raison de la présentation du recours en amparo, les représentants des victimes ont jugé qu’il n’était pas nécessaire de se présenter à l’audience et ont présenté des écrits pour justifier leur absence. Toutefois, après avoir écouté les arguments du ministère public et des avocats de la défense, le tribunal a résolu que leur absence n’était pas justifiée, que les accusateurs privés avaient abandonné le processus judiciaire et que les victimes allaient maintenant être représentées par le ministère public.
Durant l’audience, certaines victimes étaient présentes dans la salle. Une des filles de Berta Cáceres m’a raconté qu’à l’écoute de la décision du tribunal, son cœur a fait un énorme bond, comme s’il allait sortir de sa poitrine. Elle ne pouvait pas croire qu’elle allait être représentée par des procureurs qui, selon elle, n’ont jamais démontré le désir de représenter leurs intérêts.
C’est une décision surprenante pour les victimes, elles ne s’attendaient pas à être exclues du processus judiciaire de cette façon. De plus, à aucun moment le tribunal n’a demandé leur avis quant à ce changement de représentation.
Sur le plan du droit, lors de la présentation d’un recours en amparo, une audience n’est d’ordinaire pas suspendue. Il y a seulement suspension une fois que le recours est admis et s’il doit être étudié avec suspension du processus judiciaire.
Toutefois, dans ce cas-ci, les équipes d’accusation privée allèguent qu’il s’agit plutôt d’un recours en amparo extraordinaire, puisqu’il a été déposé en lien avec un recours en récusation. Selon la loi hondurienne, lorsqu’il y a dépôt d’un recours en récusation, les juges ne peuvent pas intervenir dans le dossier aussi longtemps que la question n’est pas tranchée. Les équipes d’accusation privée estiment donc qu’en raison d’un recours incident à la récusation, la décision sur le recours en récusation n’était pas définitive. Ils affirment qu’ils n’avaient pas à se présenter à l’audience du 19 octobre puisque les juges ne pouvaient pas agir dans le dossier et pour autant, la décision prise durant cette même audience est nulle.
Conséquemment, une demande de nullité et une demande de réexamen de la décision de les exclure du processus ont été rejetées et les représentants des victimes ont présentés le 29 octobre un appel et un amparo contre ces rejets.
Depuis l’exclusion des accusateurs privés du processus judiciaire, les victimes ne se présentent plus aux audiences. Pour elles, le ministère public ne les représente pas. De fait, les procureurs n’ont pas encore tenté de contacter les victimes depuis qu’ils sont leurs seuls représentants légaux dans le dossier et ils ne leur ont encore transmis aucune information.
Certaines des victimes n’excluent pas l’idée d’assister à certaines audiences, par exemple lors des plaidoiries finales, et considèrent peut-être faire usage de leur droit à la parole à la fin du procès. Toutefois, une des filles de Berta Cáceres m’a expliqué que le fait de se présenter aux audiences est une expérience violente et humiliante, puisqu’elle sent que le ministère public les ignore et que des accusés se moquent d’eux.
Les victimes sont toutes en accord ; elles désirent que justice soit faite dans ce dossier, mais pas à n’importe quel prix. Elles ne veulent pas que ce soit fait aux dépens des droits des victimes, du respect des droits procéduraux et ultimement du droit à la vérité.
Les représentants des victimes planifient actuellement un événement public afin de présenter les preuves qu’ils auraient évoqués durant le procès si elles n’avaient pas été exclues.
Sur l’auteure
Liza Yelle est conseillère juridique volontaire d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) dans le cadre du projet « Justice, gouvernance et lutte contre l’impunité au Honduras ». Liza participe actuellement à l’observation du procès de Berta Cáceres en coalition avec différentes organisations nationales et internationales de droits humains. Le projet est réalisé avec l’appui du gouvernement du Canada, accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.