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15 mai 2018

Elizabeth España

Conseillère juridique volontaire

 

Un pays qui se donne la tâche d’établir une paix stable et durable dans un contexte de post-conflit ou de post-dictature fera inévitablement face à de nombreux défis. Un de ceux-ci est la mise en péril de la sécurité des leaders communautaires et des défenseur(e)s de droits humains. En s’informant sur l’expérience internationale dans le domaine, il devient évident que ces attaques sont une conséquence incontournable de la recherche de la paix. Néanmoins, les États se doivent d’assurer la protection et la sécurité des leaders communautaires et défenseur(e)s des droits humains par l’adoption et la mise en œuvre de mesures adéquates.

 

Prenons par exemple le Guatemala. Alors que la transition d’après-conflit était déjà amorcée, plusieurs groupes de défense des droits humains ont dénoncé la mise en place d’une campagne systématique de menaces de mort et d’actes d’intimidation à leur égard. Dans la République démocratique du Congo, à la suite de la signature de l’Accord global et inclusif de Pretoria du 16 décembre 2002, les attaques contre les leaders et défenseur(e)s des droits humains ont persistés, et ce, malgré la mise en place d’une période transitoire de deux ans et la tenue de nouvelles élections.

 

Depuis 2012, le gouvernement colombien a entamé un processus de négociations avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) qui a mené à la signature d’un Accord de paix le 24 novembre 2016. Depuis, les acteurs impliqués collaborent afin de mettre en œuvre les différents mécanismes de justice transitionnelle prévus à l’Accord de Paix. Or, malgré ses avancements historiques, un aspect demeure préoccupant : la sécurité des leaders communautaires et des défenseur(e)s de droits humains.

 

Alors, qu’en est-il de la Colombie?

 

Lors de mon arrivée en Colombie, en novembre 2016, un air d’espoir quant au processus de transition vers la paix régnait dans tout le pays. Un an plus tard, lors d’un forum portant sur l’évaluation des succès et défaites de la mise en œuvre de l’accord de paix, tenu en décembre 2017, une des préoccupations principales est l’augmentation inquiétante du nombre d’attaques dirigées contre les leaders communautaires et défenseur(e)s de droits humains dans tout le pays.

 

 

Image aérienne d’un quartier de Medellín, province d’Antioquia, Colombie.

 

Les statistiques produites par l’Instituto de Estudios para el Desarrollo y la Paz – Indepaz indiquent, qu’au cours de l’année 2017, il y a eu un total de 170 meurtres de leaders communautaires et défenseur/es de droits humains. Ceci représente une augmentation de 45% des attaques par rapport à l’année 2016. D’ailleurs, seulement en janvier 2018, il y aurait eu une vingtaine de leaders communautaires et défenseur(e)s de droits humains assassinés. De plus, huit de ces assassinats ont eu lieu dans des départements où ASFC mène des activités dans le cadre de son projet «Justice transitionnelle pour les femmes» (JUSTRAM).

 

Connaissance directe

 

Durant mes deux mandats comme coopérante avec ASFC, j’ai eu l’opportunité de travailler plus profondément avec les partenaires des départements de Santander et Norte de Santander situés dans le nord-est du pays. Il m’a donc été possible de constater de mes propres yeux la situation instable et dangereuse qui affecte le travail des organisations de la société civile qui œuvrent pour la défense des droits humains.

 

Ainsi, lors d’une mobilisation sociale pacifique ayant lieu dans le département du César, des défenseur(e)s de droits humains membres de l’organisation de la société civile Equipo jurídico pueblos, partenaire d’ASFC à Santander, ont été battus et détenus par des agents de l’escadron mobile antiémeute de la police nationale de la Colombie.

 

Comme part de l’équipe ASFC en Colombie, nous avons immédiatement dénoncé la situation rappelant respectueusement aux autorités colombiennes la Déclaration des Nations Unies sur les défenseurs des droits humains et les Principes de base relatifs au rôle du barreau ainsi que leur obligation de respecter les garanties judiciaires et les droits des défenseur(e)s de droits humains.

 

De plus, selon les commentaires recueillis auprès des gens qui vivent dans les départements de Santander et Norte de Santander, récemment, plusieurs actes d’harcèlements et de persécutions ont été menés contre les personnes qui participent aux processus de défense des droits humains et des droits territoriaux. Leurs communautés, fortement militarisées, sont victimes de « nettoyage social », plus précisément des attaques pratiquées par les forces publiques ou les groupes paramilitaires et où les personnes qui défendent les droits humains sont principalement ciblées.

 

Face à cette situation aggravante, la question se pose à savoir qu’elles ont été les mesures prises par le gouvernement colombien pour affronter le problème et garantir efficacement la sécurité et la protection des leaders communautaires et défenseur(e)s de droits humains.

 

Les différentes réactions du gouvernement colombien

 

L’accord de paix, signé entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie, prévoit des mesures de sécurité et de protection ainsi que de lutte contre les organisations criminelles afin de consolider la transition vers la paix et la participation politique du peuple colombien, ce qui inclut les leaders communautaires et défenseur(e)s de droits humains. Parmi ceux-ci, il y a la mise en œuvre de la Commission nationale de garanties de sécurité, l’établissement d’un Programme intégral de sécurité et protection pour les communautés et organisations dans les territoires ainsi que l’utilisation d’un instrument de prévention et surveillance des organisations criminelles.

 

Le 1 février 2018, le vice-président de la Colombie, Óscar Naranjo, a souligné l’inquiétude du gouvernement face à la gravité de la situation; propos repris par le président Juan Manuel Santos le 16 février 2018. Il a annoncé qu’il y aura un déploiement de fonctionnaires de haut niveau dans les régions pour garantir la protection des vies des leaders communautaires et défenseur(e)s de droits humains.

 

 

« Que dois-je accomplir pour faire valoir mes droits? »

 

De plus, il a assuré que lors de la dernière réunion du cabinet post-conflit, il a été décidé qu’il était important de mettre en œuvre, en collaboration avec le Procureur général de la nation, une stratégie afin d’accélérer l’élucidation des meurtres et permettre que justice soit faite. Puis, quelques jours plus tard, le ministre de l’intérieur, Guillermo Rivera, a annoncé que le gouvernement travaille présentement l’ébauche d’un décret qui établit un mécanisme de protection collective pour les leaders communautaires et défenseur(e)s de droits humains.

 

En dépit de ces bonnes nouvelles, plusieurs membres du gouvernement colombien persistent dans le déni. En effet, le ministre de la défense, Luis Carlos Villegas, a déclaré que les assassinats des leaders communautaires et défenseur(e)s des droits humains ne pouvaient pas être considéré(e)s comme étant une attaque systématique. Au contraire, il banalise la gravité de la situation en affirmant que ces assassinats sont le résultat de « peleas de vecinos, faldas y por rentas ilícitas »,  autrement dit des conflits entre voisins, des querelles amoureuses et des dettes illicites.

 

Une amélioration de la situation est indispensable !

 

Les mesures négociées dans l’Accord de paix signé entre le gouvernement et les FARC semblent à première vue être adéquates et résultat d’une bonne volonté politique. Cependant, la mise en œuvre effective de ces mesures laisse à désirer. Les attaques continuelles contre les leaders communautaires et défenseur(e)s des droits humains ne font que mettre en évidence l’incapacité de l’État colombien à garantir la vie et la sécurité de ceux-ci.

 

Cela va sans dire que l’État colombien doit améliorer ses efforts pour répondre aux besoins immédiats des leaders communautaires et défenseur(e)s de droits humains avec des mesures concrètes et efficaces qui garantiront réellement la transition vers une paix stable.

 

Ayant côtoyé des avocats et des avocates défenseurs des droits humains ainsi que des membres des communautés les plus affectées par le conflit au cours des mandats que j’ai effectué comme  conseillère juridique volontaire d’ASFC, j’ai eu le privilège d’être témoin de l’engagement sans mesure de ces personnes, et ce, malgré les multiples menaces contre leur vie et leur famille. Je suis convaincue que sans leur travail acharné et une réponse efficace du gouvernement pour assurer leur sécurité, la construction de la paix en Colombie risque de devenir un mythe ou rester sur le papier…

 

Sur l’auteure 

 

Elizabeth España est conseillère juridique volontaire dans le cadre du projet Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF) et stagiaire du Barreau du Québec.