La Côte d’Ivoire, au cœur de la lutte contre les mutilations génitales féminines
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23 février 2018
Marilynn Rubayika
Conseillère juridique volontaire
En entrant dans la salle de conférence à l’annexe Ivotel Plateau, une grande affiche permet de lire ce pour quoi nous étions réunis en ce matin du 16 janvier 2018 : « BanFGM : pour l’élimination des mutilations génitales féminines ». Une trentaine d’hommes et de femmes issus de plusieurs ministères, organisations non-gouvernementales internationales et organisations actives de la société civile, notamment des juristes, des médecins, des chefs religieux et des travailleurs sociaux se sont réunis pendant deux jours, à Abidjan, pour un atelier national visant la mise en œuvre de la Résolution A/RES/67/146 de l’ONU sur l’intensification de l’action mondiale visant à éliminer les mutilations génitales féminines (MGF).
La situation des mutilations génitales féminines en Côte d’Ivoire
Les chiffres sont accablants. Le rapport de l’UNICEF de 2013 comptait plus de 125 millions de femmes et de filles dans le monde touchées par les mutilations génitales féminines. Une année plus tôt, le rapport annuel de l’OMS documentait qu’à chaque année, trois millions de filles supplémentaires à travers la planète risquent de se trouver victimes de cette pratique. Les mutilations génitales féminines se classent en quatre catégories : la clitoridectomie, l’excision, l’infibulation et les autres interventions.
En Côte d’Ivoire, la forme de mutilations génitales féminines la plus répandue et la plus pratiquée est l’excision. Cette pratique consiste en l’ablation totale ou partielle du clitoris et des petites lèvres de la femme ou de la petite fille. Le Nord-Ouest du pays est plus touché avec un taux élevé de 79,5% de filles et/ou de femmes de 15 à 49 ans excisées. Le taux le plus faible est dans la région du Centre où on parle de 12,2% de filles et/ou de femmes. Dans la ville d’Abidjan, la prévalence est de 36% et au niveau national de 38%.
L’impact de la tradition
Lors de l’atelier, il n’y a pas que les chiffres qui sont dévoilés. Des photos des parties intimes de certaines victimes sont présentées. Pour moi, tout ceci provoque une réflexion inévitable. Je me questionne sur les origines de cette pratique et je me demande si ce sont elles qui lui permettent de subsister malgré sa criminalisation. En effet, l’excision, ainsi que toutes les autres formes de mutilations génitales féminines, est interdite, et ce, non pas seulement au niveau international. Au plan national, il existe la loi n° 98-757 du 23 décembre 1998 qui définit les mutilations génitales féminines, les interdit, et prévoit des peines en cas de violation. Cette loi est incorporée dans le code pénal ivoirien. Comment alors expliquer la ténacité de cette pratique néfaste?
La réponse, me dira-t-on, se trouve dans la profondeur de la source même de cette pratique. La source traditionnelle et le caractère parfois même sacré pour certaines communautés la rend difficile à éradiquer. D’ailleurs, l’ensemble des participants à l’atelier s’entendent sur cette conclusion : il est d’une importance cruciale de faire une analyse situationnelle poussée pour déterminer les causes profondes entrainant la persistance de la pratique en vue d’élaborer un programme national de lutte contre les mutilations génitales féminines.
C’est d’ailleurs là l’une des recommandations faites par le groupe qui s’est concentré sur l’axe législation et au sein duquel j’ai travaillé pendant ces deux jours. Nous avons également encouragé le gouvernement à réviser la loi de 1998 pour, entre autres, prévoir un décret d’application. Nous avons aussi souligner l’importance de renforcer l’obligation de dénonciation y figurant en énonçant et clarifiant les différents degrés de responsabilité notamment pour les exciseuses, les parents, et autres personnes pouvant être impliquées. Finalement, les différents acteurs de la société civile, au nombre desquels figurent le Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH), ont discuté de l’importance de faire du litige stratégique en se saisissant de cas emblématiques.
À la fin de l’atelier, une déclaration d’engagement des participants a été adoptée et rendue publique. Pour moi, ces hommes et ces femmes sont une lueur d’espoir dans cette longue lutte. Leur persévérance et leur travail sont des plus inspirants. Je suis honorée d’avoir l’opportunité de contribuer à leur travail pendant mon mandat de coopérante volontaire.
Sur l’auteure
Marilynn Rubayika est conseillère juridique volontaire déployée en Côte d’Ivoire dans le cadre du projet Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF) mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada et le Bureau international des droits des enfants. Elle agit depuis le 28 novembre dernier au sein de l’organisation partenaire Mouvement ivoirien des droits humains.