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2 décembre 2019

Avocats sans Frontières Canada (ASFC) se réjouit de la décision de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (CPI) confirmant les charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité portées contre M. Al Hassan Ag Abdoul Aziz Ag Mohamed Ag Mahmoud, qui fut rendue le 30 septembre, mais publiée seulement le 12 novembre 2019.

 

M. Al Hassan est soupçonné d’avoir contribué à la réalisation d’actes tels que des mariages forcés, des viols et la réduction en esclavage sexuel, qui auraient été perpétrés entre 2012 et 2013, dans la ville de Tombouctou, où il aurait occupé la position de chef de la police islamique pendant l’occupation de la ville par le groupe terroriste islamiste Ansar Dine.

 

Cette décision a une grande portée symbolique car jusqu’à aujourd’hui, aucun auteur des crimes perpétrés en 2012 dans le contexte du conflit armé ayant éclaté cette année-là n’a été trouvé coupable d’un crime international commis à l’encontre de la population malienne.

 

« Cette décision représente une lueur d’espoir pour les victimes de Tombouctou et nous rappelle que ces crimes ne sauraient rester impunis, en particuliers les actes de violence sexuelle », a souligné l’organisation Women in Law and Development (WILDAF) – Mali, partenaire d’ASFC au Mali.

 

Cette décision, qui confirme en même temps la tenue prochaine d’un procès public à La Haye devant la Chambre de première instance de la CPI, est donc un pas supplémentaire vers la reconnaissance du droit des victimes à voir leur cause entendue.

 

Les violations des droits des femmes sont des crimes graves

 

ASFC salue également la décision de la Chambre préliminaire rejetant la requête de la défense qui lui intimait de déclarer l’affaire irrecevable au motif qu’elle « n’est pas suffisamment grave pour que le Cour y donne suite ».

 

Dans sa décision relative à la recevabilité de l’affaire, et compte tenu de la nature des allégations, la Chambre a en effet considéré que celle-ci répondait au critère de gravité, notamment celles relatives aux violences sexuelles et des conséquences tragiques qu’elles ont eu pour les victimes, de la présence d’un mobile discriminatoire sur la base du genre ayant motivé la commission des crimes contre la population, de même que le nombre important de victimes.

 

Rappelons que les charges avancées par la Procureure, Fatou Bensouda, pourraient contribuer à des avancées importantes droit international, car elles mettent en lumière le caractère systémique de la persécution dont les femmes ont fait l’objet dans les portions du territoire malien qui furent administrées par les groupes armés djihadistes.

 

Au cours du procès, certaines victimes seront donc appelées à jouer un rôle clé pour étayer les éléments de preuve apportés par le Procureur. Leur intervention se fera principalement grâce à leur représentant légal qui se chargera de récolter leurs déclarations et leurs préoccupations pour en faire part à la Cour. Celles qui le souhaitent pourront livrer aux juges leur témoignage et, par ce biais, tenter d’obtenir la reconnaissance du préjudice qu’elles ont subi.

 

Le Mali a des obligations internationales à respecter

 

Rappelons que le Mali a ratifié les instruments internationaux de protection des droits humains tels que les quatre Conventions de Genève, les Protocole I et II des Conventions de Genève, le Statut de Rome, la Pacte international sur les droits civils et politiques et la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples.

 

L’article 116 de la Constitution malienne prévoit que les traités ratifiés ont une autorité supérieure à celle des lois. En conséquence, en vertu de ses obligations internationales et de sa Constitution, le Mali a l’obligation de poursuivre, d’enquêter et de réprimer les auteurs de graves violations des droits humains.

 

Les crimes perpétrés au Mali entre 2012 et 2013, en particulier ceux subis par les victimes accompagnées par ASFC, sont constitutifs de graves violations des droits humains pouvant être qualifiées de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité reconnus et prohibés par le droit international. Il revient ultimement à l’Etat du Mali de poursuivre les efforts impulsés par la CPI.

 

Cependant, depuis la commission des faits, aucune démarche significative n’a été initiée afin de mener efficacement à la répression des crimes internationaux perpétrés au Mali.

 

Des brèches à colmater pour mieux lutter contre l’impunité

 

ASFC a salué l’extension des compétences du Pôle judiciaire spécialisé de lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale aux crimes internationaux perpétrés sur le territoire du Mali.

 

Cependant, le pôle n’est pas encore, aujourd’hui, en mesure de mener les enquêtes sur les crimes internationaux qui ont lieu dans le Centre et le Nord du pays. De plus, le Pôle n’a qu’une compétence limitée aux enquêtes et aux poursuites et il n’existe pas de juridiction spécialisée pour connaître de ces crimes d’une nature complexe et moins connus des magistrat.e.s Malien.ne.s.

 

L’affaire Aliou Mahamane Touré représentative de ce climat d’impunité, car le pouvoir judiciaire avait l’opportunité de condamner le prévenu, ancien commissaire islamique de Gao sous l’occupation, pour des crimes internationaux, mais a préféré le trouver coupable de crimes de droit commun. De plus, cet individu a fait l’objet d’une libération extrajudiciaire avant qu’il ait fini de purger sa peine. Cette condamnation est insuffisante car elle ne souligne pas suffisamment l’impact que le conflit a eu sur les populations et a limité l’accès à la réparation pour les victimes.

 

La Loi d’entente nationale, promulguée le 26 juillet 2019, fait aussi peser de sérieux doutes sur la réelle volonté de l’Etat du Mali de poursuivre les auteurs des crimes internationaux commis sur son territoire depuis 2012. ASFC et ses partenaires de la société civile malienne ont d’ailleurs exprimé avec vigueur leurs réserves aux autorités compétentes.

 

Placer les besoins des victimes avant tout

 

La place des victimes et des témoins de graves violations des droits humains d’enquête est encore aujourd’hui insuffisamment protégée. Ces dernières ne peuvent bénéficier de l’anonymat qui les protégerait face aux représailles et aux risques de stigmatisation inhérents à ce type de crimes. Cette absence de protection est frein important à la manifestation de la vérité et à la prise en compte des victimes dans le processus judiciaire. Il est important que la réforme du Code de procédure pénale offre aux victimes de crimes internationaux la protection judiciaire pour favoriser leur accès au système de justice.

 

Aux vues de ce qui précède, ASFC invite l’Etat malien à se conformer à ses obligations internationales et à mettre en place les mesures propres à assurer que les auteurs de crimes internationaux perpétrés sur le territoire du Mali ne restent pas impunis.