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29 novembre 2019

William Fortin 

Conseiller juridique volontaire

 

Le grondement du moteur et les turbulences qui secouent l’autocar me gardent éveillé. À l’extérieur, les troncs élancés des fromagers défilent, donnant l’impression qu’une main invisible a marqué frénétiquement au crayon blanc l’étendue de verdure qui captive mon regard. Au loin, s’élèvent les formations montagneuses qui font la réputation de cette partie de la Côte d’Ivoire. Un paysage qui se dévoile sans pudeur, exposant à la fois ses rares espaces intouchés et les larges cicatrices laissées par la déforestation.

 

Un décor à l’image d’un pays marqué par les crises, mais qui se dresse fier et qui continue d’émerveiller par sa beauté désarçonnante. Il est hors de question que je manque une seule seconde de ce spectacle. Je combats donc la fatigue, fixant l’horizon. Ce manque de sommeil est la suite logique d’une mission bien remplie sur le terrain.

 

Mon trajet vers Abidjan marque la fin d’une mission de dix jours, dans l’Ouest du pays, effectuée avec le Mouvement ivoirien des droits humains (MIDH). Dix jours durant lesquels nous avons parcouru plus de mille kilomètres, visité trois localités et formé 86 personnes sur les violences sexuelles et basées sur le genre (VBG), les réparations communautaires et les modes alternatifs de règlement des conflits.

 

Malgré la lourdeur de nos paupières, un sentiment d’accomplissement nous accompagne dans ce voyage.

 

Des montagnes de Man aux berges du Cavally, j’ai combattu les VBG et cultivé la paix

 

La mission que nous venons d’effectuer s’inscrit dans le cadre d’un projet que le MIDH réalise avec l’appui technique et financier du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et du Fonds de consolidation de la paix des Nations unies (PBF). Ce dernier est intitulé « projet d’assistance aux victimes, en particulier les victimes de violences sexuelles et basées sur le genre, dans le cadre du processus de réparation communautaire ».

 

 

Depuis le début de ce projet, le MIDH organise des ateliers de partage et de renforcement des capacités sur la prévention des VBG, la prise en charge psychosociale et juridique des victimes de VBG, le droit national et international en la matière, les réparations communautaires et la résolution des conflits. En tant que conseiller juridique volontaire au sein du MIDH, j’avais comme tâche d’animer une formation d’introduction à la médiation, ainsi que de présenter certains éléments du nouveau Code pénal ivoirien1.

 

C’est donc avec l’objectif de renforcer les capacités de leaders traditionnels, de représentants d’associations de femmes et de victimes, ainsi que d’autres membres de la société civile et d’employés des services publiques, que l’équipe-projet s’est rendue dans l’Ouest du pays.

 

Il est aussi important de préciser que le MIDH n’était pas la seule organisation d’impliquée dans ce projet. En plus de l’appui du PNUD et du PBF, trois juristes de l’Association des Femmes juristes de Côte d’Ivoire (AFJ-CI) et un représentant de la Confédération des organisations de victimes de la crise ivoirienne (COVICI) ont partagé avec les participants leur expertise.

 

Trop souvent, les victimes se sentent délaissées

 

Les formations se déroulaient à Man (24 et 25 septembre 2019), Duékoué (27 et 28 septembre) et Guiglo (30 septembre et 1er octobre). Dans chacune de ces localités, la qualité des participants était impressionnante. Nombreux des outils partagés lors de la formation, qu’ils soient liés aux VBG ou à la résolution des conflits, leur seront utiles dans le cadre de leurs fonctions.

 

Certains des participants sont fréquemment appelés à tenir le rôle de médiateur lorsqu’un conflit éclate au sein de leur communauté. D’autres doivent aussi agir auprès de victimes de VBG et/ou tentent de déconstruire les préjugés et mythes entourant les VBG. Plusieurs sensibilisent les populations et combattent certaines pratiques nuisibles aux femmes et aux jeunes filles telles que les mariages précoces et les mutilations génitales féminines.

 

La lutte et la prévention des VBG représentent des causes qui leur tiennent à cœur.

 

Qu’elles aient été commises en temps de paix ou de guerre, les VBG ont malheureusement marqué la vie de nombreuses personnes dans l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Ce constat est particulièrement manifeste lorsque les participants nous parlent des violences sexuelles liées aux conflits. Cette préoccupation n’est pas unique à la région.

 

 

Dans son rapport de l’année 2017 sur les violences sexuelles liées aux conflits, le Secrétaire Général des Nations unies explique que « les blessures infligées par la guerre civile en Côte d’Ivoire et mises en lumière par la crise post-électorale de 2010-2011, qui a été marquée par une recrudescence des violences sexuelles, n’ont pas totalement cicatrisées »2. Tandis que la Commission National d’Enquête identifie 196 cas de viol et d’agressions sexuelles commis entre octobre 2010 et mai 2011 dans son rapport d’enquête, elle reconnaît que le « nombre de cas signalés est en deçà du nombre de cas réels »3.

 

De son côté, la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation souligne dans son rapport que ses membres ont « constaté une certaine réticence des femmes victimes à dénoncer les violations subies »4. Ainsi, les chiffres disponibles ne nous permettent pas d’avoir une idée précise du nombre de victimes de violences sexuelles liées aux conflits qui ont affectés le pays.

 

Pendant ce temps, de nombreuses personnes continuent de vivre avec les séquelles de ces violences. Leurs blessures restent douloureuses.

 

Les violences basées sur le genre restent donc un problème péniblement contemporain pour ces communautés. De plus, les VBG ne cessent pas en temps de paix. Des personnes en sont victimes au quotidien. La récente mort médiatisée d’une fillette de trois ans qui est décédée après avoir été violée est un douloureux rappel de cette réalité5. Conséquemment, il n’est pas surprenant que les parties de notre formation abordant les VBG et la prise en charge des victimes aient suscité un vif intérêt.

 

La présentation du nouveau Code pénal fut l’une des pièces centrales de la formation. De nombreuses innovations se trouvant dans ce Code ont été abordées, dont la présence d’une définition du crime de viol. Il est important de préciser que le viol n’était pas défini dans le précédent Code. Les formateurs ont ainsi expliqué les dispositions du Code réprimant les VBG. En plus du Code pénal, l’ordonnance d’amnistie de 2018 – devenue loi6 – a aussi été discutée avec les participants, permettant à ces derniers d’exprimer leurs inquiétudes face aux conséquences que cette dernière a sur les victimes de la crise post-électorale de 2010-2011.

 

Mon rôle en tant que formateur : parler de la résolution des conflits

 

La seconde partie de la formation s’est concentré sur la médiation et les modes alternatifs de résolution des conflits. J’ai ainsi animé une formation d’introduction à la médiation, tout en mettant un accent particulier sur l’importance des femmes dans le règlement et la prévention des conflits. J’ai suscité l’intérêt de plusieurs en parlant des principes fondamentaux de la médiation, ainsi que des différents besoins identitaires des parties au conflit.

 

 

Ce fut une formation riche en partage, axée sur l’apprentissage interactif. J’ai ainsi beaucoup appris sur certaines pratiques et initiatives locales en matière de règlement des conflits à travers mes échanges avec les participants. Cette approche nous a aussi permis aux participants de dresser une liste de recommandations sur l’ensembles des thèmes abordés et qui fut adressée à l’État, aux leaders communautaires, au PNUD et à la société civile7.

 

C’est donc avec la tête remplie d’idées que je suis embarqué dans l’autocar en direction d’Abidjan. Dehors, après plusieurs heures de route, la forêt a laissé place à une masse urbaine.  Le gris froid du béton contraste avec les milliers de couleurs qui couvrent les rues de Yopougon8.

 

Le bruit des klaxons se fait de plus en plus présent et la tranquillité des montagnes me semble déjà bien lointaine. Abidjan n’a pas changé durant notre courte absence.

 

Je me sens toutefois différent de lorsque j’ai quitté la ville la semaine précédente. Je ramène une petite partie de l’Ouest avec moi. Il est particulièrement difficile d’oublier le paysage qui s’offrait à moi le matin à Man. Les montagnes qui surplombaient la ville, enveloppées dans un voile brumeux. Une présence à la fois imposante et rassurante. Il est encore plus difficile d’oublier l’accueil que nous a offert ses habitants. Leurs visages resteront bien gravés dans ma mémoire. Je retourne donc à Abidjan plein de gratitude pour les femmes et des hommes qui m’ont accueilli chez-eux et m’ont amicalement rebaptisé BAH Willy9.

 

Sur l’auteur 

 

William Fortin est conseiller juridique volontaire en Côte d’Ivoire au sein du projet Protection des droits des enfants, des femmes et autres collectivités vulnérables (PRODEF), mis en œuvre par ASFC en consortium avec le Bureau international des droits des enfants (IBCR), avec le soutien financier d’Affaires mondiales Canada.

 

Références 

 

1 – Loi no 2019-574 portant Code pénal.

2 –  Conseil de sécurité des Nations unies (15 avril 2017), Rapport du Secrétaire général sur les violences sexuelles liées aux conflits, S/2017/249, lien.

3 – Commission Nationale d’Enquête (juillet 2012), Rapport d’enquête sur les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire survenues dans la période du 31 octobre 2010 au 15 mai 2011. Lien.

4 – Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (décembre 2014), Rapport final, Lien.

5 – https://www.jeuneafrique.com/839364/societe/cote-divoire-marche-apres-le-viol-et-la-mort-dune-fillette/

6 – Loi no 2018-980 portant ratification de l’ordonnance no 2018-669 du 6 août 2018 portant amnistie.

7 – 19 recommandations ont été formulées.

8 – L’une des dix communes d’Abidjan.

9 – BAH est un nom commun dans certaines parties occidentales de la Côte d’Ivoire.