• Témoignages

22 août 2022

Le père de Mamadou, Papa Seye, a été vu pour la dernière fois le 28 juin 1990 en Mauritanie. Deux semaines avant sa disparition, il avait été arrêté arbitrairement lorsqu’il était à Aleg dans le cadre de son travail. Il est resté en détention pour quelques jours sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui. Dans les années 1980-1990, il s’agissait malheureusement d’une situation courante alors que les Mauritaniens d’origine noire faisaient face à une répression violente et à des déportations de masse.

 

À ce jour, la famille de Papa Seye ne connait toujours pas les circonstances entourant sa disparition, et son sort n’a jamais été confirmé. Pendant près de 30 ans, Mamadou a mené les efforts afin de découvrir ce qui est arrivé à son père. Avec le soutien du Centre canadien pour la justice internationale (CCJI), Mamadou a soumis une communication au Groupe de travail sur les disparitions forcées des Nations Unies en octobre 2013, et à la Commission africaine des droits de l’Homme et des Peuples en avril 2015. La communication alléguait que le gouvernement mauritanien avait violé plusieurs des droits de Papa Seye et de sa famille. Nous avons demandé à la Commission de déclarer que la Mauritanie avait violé ces droits, de solliciter le gouvernement afin d’enquêter de manière appropriée sur la disparition de Papa Seye, et d’indemniser sa famille.

 

Mamadou nous en dit plus sur sa longue quête pour que vérité soit enfin connue.

 

En famille, parliez-vous de la discrimination à l’encontre des communautés noires en Mauritanie?

 

Tout le monde était au courant des dangers que l’on courait en tant que noir en Mauritanie. En 1989, beaucoup de Mauritaniens noirs ont été déportés au Sénégal. Il y avait de la discrimination ethnique dans les différents secteurs du gouvernement. Être noir dans ce pays, c’était de s’exposer à des risques partout. Ma maman, les frères et sœurs de mon père, et même ses collègues lui disaient de ne pas sortir de la maison, mais lui, il disait qu’il était Mauritanien et qu’il n’avait rien à se reprocher. On connaissait les dangers, mais on se disait que ça ne nous arriverait jamais à nous. C’était inimaginable, mais pourtant c’est arrivé.

 

Comment est-ce que sa disparition a influencé les décisions que vous avez prises dans votre vie?

 

Ça m’a forcé à prendre des décisions difficiles. À l’époque, je me rappelle que je ne comprenais pas quand je voyais des gens de la communauté noire qui voulait quitter le pays. Pour moi, quitter ne faisait pas partie de la solution. Après la disparition de mon père, je me suis demandé ce qu’il fallait faire pour changer les choses. J’ai réalisé plus tard pourquoi les gens quittaient et j’ai dû le faire moi aussi. Je ne l’ai pas fait de gaieté de cœur, mais j’étais maintenant parent et j’avais peur que mes enfants souffrent comme moi j’avais souffert.

 

Que croyez-vous qu’il faille accomplir pour que justice soit rendue?

 

Il est extrêmement important pour nous que les assassins soient jugés par la justice et qu’on puisse connaître la vérité sur ce qui s’est réellement passé. Je veux connaître l’endroit où se trouve le corps de mon papa. C’est un devoir que je dois à mon père.

L’absence de justice, c’est aussi ce qui crée et exacerbe les problèmes dans le pays. C’est la première étape vers une réelle réconciliation pour que tout le monde soit sur le même pied d’égalité. Il faut que la discrimination raciale cesse dans mon pays pour que tout le monde se sente libres et qu’on ait tous les mêmes droits. C’est très important pour l’avenir de ce pays, pour l’avenir de mes enfants et de mes petits-enfants.

 

Comment est-ce que vos démarches afin d’obtenir justice vous ont-elles aidé?

 

Je suis reconnaissant du travail effectué avec le CCJI. Ça m’encourage à aller jusqu’au bout de mes démarches et à poursuivre mon combat afin d’obtenir justice. J’apprécie aussi la possibilité de partager mon histoire grâce à ce projet. Ça me permet de faire connaître ce qui se passe en Mauritanie et de contribuer au changement dans le pays. Il faut continuer à dénoncer ces crimes et ces politiques ségrégationnistes afin de combattre l’indifférence et l’impunité.

 

*Ce témoignage a été légué, avec l’accord de Mamadou Seye, à Avocats sans frontières Canada à la fermeture du CCJI afin que l’histoire de son père ne sombre pas de l’oubli.