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18 mars 2024

Sur les routes de Port-au-Prince, 2020.

Haïti vit présentement des moments très difficiles. Le pays est secoué par une recrudescence des violences perpétrées par les gangs armés. La perle des Caraïbes se retrouve également dans un vide politique et constitutionnel depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 et la démission du premier ministre Ariel Henry le 11 mars dernier. Une situation explosive qui a des conséquences graves sur la population civile. Avocats sans frontières Canada fait le point avec sa directrice en Haïti, Taïna Noster.

 

Taïna Noster, décrivez-nous la situation actuelle en Haïti?

 

Haïti se retrouve isolé du reste du monde: en date du 15 mars 2024, l’aéroport Toussaint Louverture est fermé, certains ports du pays aussi, des routes sont bloquées et l’état d’urgence a été décrété à Port-au-Prince. Nous constatons une nouvelle flambée de la violence par les gangs armés, maintenant fédérés. Ils ont attaqué et brûlé les deux principales prisons du pays, ce qui a provoqué l’évasion de milliers de détenu.e.s. Ils ont pillé et brûlé des commerces, des maisons et des banques. Conséquence: les gens fuient leur résidence et leur quartier. L’organisation internationale pour les Migrations estime à 360 000 le nombre de personnes déplacées en Haïti, plusieurs sans nulle part où aller, comme l’a démontré ASF Canada dans son rapport sur la situation.

 

Le droit à la vie n’est pas respecté. À chaque attaque par les gangs, de nombreuses personnes sont tuées. Les personnes qui fuient la violence se retrouvent dans des camps de fortune dans d’autres quartiers de la capitale, ou faute d’abris, elles occupent des bâtiments publics. Il y a une augmentation des violences basées sur le genre, notamment des violences sexuelles. Les écoles sont fermées, certains bureaux sont fermés dans les zones contrôlées par les gangs. Ceux et celles qui le peuvent travaillent de la maison et ne sortent que pour s’approvisionner en biens essentiels. Mais pour la plupart des personnes, qui vivent au jour le jour, elles doivent sortir, aller travailler, pour gagner leur vie. Elles se protègent comme elles le peuvent.

 

Malheureusement, la présence policière n’est pas suffisante pour rétablir l’ordre. Les gangs attaquent aussi les commissariats.

 

Que font ASFC et ses partenaires face à la recrudescence des violations des droits humains?

 

À l’extérieur de la capitale, les activités des organisations de la société civile se poursuivent: les organisations continuent d’accompagner les victimes, de les référer aux services psychosociaux, ASF Canada continue de donner des formations.

 

Par contre, à Port-au-Prince, pour l’instant, les possibilités sont plus limitées. Les partenaires continuent leur travail de documentation des cas de violations. Les informations recueillies aujourd’hui permettront aux avocat.e.s de monter des dossiers et d’entamer des poursuites judiciaires.

 

Il doit y avoir beaucoup de personnes blessées ou en état de choc à Port-au-Prince. Est-ce que ces personnes peuvent obtenir du soutien médical et psychologique?

 

Au sein des organisations de la société civile, notamment les organisations de femmes, il y a des services psychosociaux. C’est difficile pour les gens d’obtenir des services actuellement. Les hôpitaux sont aux prises avec des pénuries de médicaments, de carburant et d’oxygène, et les cliniques et les pharmacies ferment parfois tôt ou n’ouvrent pas en raison de l’insécurité. Nous tentons, du mieux que nous pouvons, à travers nos partenaires, de continuer à accompagner la population, en particulier les survivantes de violences basées sur le genre. Il est important de mentionner que nos partenaires vivent aussi les conséquences de la situation actuelle: il y a des membres de leur personnel qui sont déplacés, il y a des bureaux qui se trouvent maintenant dans des zones contrôlées par les gangs qui ont dû fermer ou déménager.

 

Comment se portent les membres de notre équipe à Port-au-Prince?

 

Nous avons la chance d’avoir des collègues très engagé.e.s qui continuent d’espérer et de croire, et qui poursuivent le travail de lutte contre l’impunité, pour la justice et la protection des droits humains en Haïti. Nous continuons d’avancer pour le bien des personnes en situation de vulnérabilité.

 

En effet, nos collègues font preuve de beaucoup de courage. Des avancées pour les droits humains sont-elles encore possibles, malgré le contexte?

 

Oui, en région grâce au travail des partenaires et des avocat.es qui les accompagnent. L’expérience des cinq dernières années nous a démontré qu’on peut réellement changer des vies, même en travaillant dans un contexte difficile.

 

Dans le cadre du projet Accès à la justice et lutte contre l’impunité en Haïti (AJULIH), qui se termine cette année, nous avons contribué à faire avancer des cas emblématiques de droits humains. Ces cas pourront éventuellement faire jurisprudence et amener des changements aux normes et aux lois pour un cadre juridique plus favorable aux droits humains. Ce ne sont pas des résultats immédiats, mais avec le litige stratégique, nous visons des changements à long terme. Nous mettons à disposition des avocat.e.s les ressources nécessaires afin qu’elles et ils puissent faire de même, à commencer par un livret expliquant ce qu’est le litige stratégique et comment l’utiliser en Haïti.

 

Enfin, nous avons contribué à sensibiliser la population, et en particulier les jeunes, à l’importance de leurs droits et à la possibilité de les revendiquer. Le travail avec les organisations de la société civile a permis aux femmes de faire valoir leurs droits et d’obtenir du soutien lorsqu’elles vivent de la violence.

 

Que peuvent faire les personnes qui nous lisent et qui voudraient soutenir la mission d’Avocats sans frontières Canada en Haïti?

 

Nous leur demandons d’élever leur voix en solidarité avec le peuple haïtien. On a une société civile forte qui fait partie de la solution. On a besoin de cette solidarité internationale pour que nos voix dépassent les frontières.

 

Appuyez la mission d’Avocats sans frontières Canada