Guatemala: défendre l’État de droit contre vents et marées
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10 janvier 2024
Le Guatemala navigue sur des eaux tumultueuses depuis la victoire inattendue de Bernardo Arévalo du Mouvement Semilla. Le président élu a été investi le 14 janvier 2024. Depuis des mois, des personnes au sein de l’État tentent de faire invalider les résultats des élections. Ces remous politiques s’inscrivent dans un climat d’impunité et de corruption qui prévaut dans le pays depuis la fin des activités de la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG). Dans le cadre de sa mission à Québec en décembre 2023, nous avons discuté de la situation dans ce pays avec la directrice d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) au Guatemala, Claudia López David.
Celle qui dirige l’équipe d’Avocats sans frontières Canada au Guatemala ne mâche pas ses mots: «Le pays est en guerre contre les défenseurs des droits humains. Être défenseur des droits humains aujourd’hui peut vous coûter la liberté», affirme Claudia López David. L’époque où l’on combattait l’impunité et la corruption semble bien loin. Et la majorité des gens qui osent encore dénoncer ce fléau sont criminalisés.
«Vous ne pouvez pas travailler tranquillement, vous devez constamment vous défendre et vous protéger. Il y a aussi beaucoup d’autocensure. Les autorités guatémaltèques peuvent vous poursuivre sous n’importe quel prétexte», déclare Mme López David.
L’effritement de l’État de droit
C’est que la lutte acharnée pour les droits humains et contre la corruption dérange. Des leaders de la société civile qui ont appuyé la CICIG sont aujourd’hui en exil. Cette commission indépendante, créée en 2007, a mené des enquêtes dans 124 cas de corruption et de crime organisé dans les plus hautes instances de l’État, ce qui a entraîné la détention d’anciens présidents, député.e.s, maires et narcotraficant.e.s. En 2019, le président en fonction à l’époque, Jimmy Morales, qui faisait lui-même l’objet d’une enquête, met un terme aux activités de la CICIG.
Aujourd’hui, il y a une persécution contre les défenseur.es des droits humains. C’est le cas de Claudia González Orellana: cette avocate et ex-membre de la CICIG s’est retrouvée derrière les barreaux plus de 80 jours en 2023. On l’a accusée d’abus de pouvoir. La directrice d’ASFC au Guatemala considère cette détention comme illégale et arbitraire.
«Claudia González a consacré sa vie à la protection des droits humains et à la lutte contre la corruption dans son pays. Elle a une feuille de route impeccable. Et comment la remercie-t-on? En la jetant en prison.»
Sa détention a d’ailleurs déclenché des pétitions de dizaines d’organisations internationales qui ont réclamé sa libération. Claudia González a été libérée en novembre 2023 mais demeure en résidence surveillée dans l’attente de son procès.
Il y a de plus en plus de personnes défendant les droits humains qui sont intimidées, harcelées et incarcérées au Guatemala.1 Elles ont peur, se terrent ou choisissent l’exil, nous dit Claudia López.
«Il y a beaucoup d’injustice et d’impunité au Guatemala: des personnes victimes de la traite, des féminicides, des personnes mineures qui travaillent et qui sont exploitées, le trafic de stupéfiants, etc., et les personnes qui commettent ces crimes sont en liberté et continuent de sévir. Par contre, les défenseurs des droits humains qui dénoncent ces situations, qui sont incorruptibles, qui ont contribué à faire avancer les droits dans ce pays se retrouvent en prison.»
Un soutien indéfectible pour les défenseur.e.s des droits humains
ASFC accompagne les défenseur.e.s des droits humains depuis de nombreuses années au Guatemala. L’organisation aide les avocat.e.s représentant ces défenseur.e.s, par exemple dans la préparation de la preuve et des séances devant les tribunaux. ASFC mène également des actions de plaidoyer pour dénoncer les violations des droits humains dont sont victimes ces personnes qui luttent contre la corruption et l’impunité: dépôt de pétitions auprès d’organisations régionales ou internationales des droits humains, publications sur les médias sociaux, etc. Sans relâche, ASFC interpelle les décideur.e.s de la communauté internationale sur la situation, en plus de mener d’autres actions ciblées pour lutter contre l’impunité.
Et ça donne des résultats. Après le dépôt d’une plainte auprès du Groupe de travail sur la détention arbitraire des Nations Unies, cet organisme onusien a adopté une résolution importante dans un cas particulier, celui de l’avocate Virginia Laparra, qui faisait partie d’une unité de lutte contre la corruption, et qui a été incarcérée et condamnée pour un délit administratif en 2022. Le Groupe a analysé son cas et a statué qu’il s’agissait bel et bien d’une détention arbitraire et a demandé sa libération immédiate, libération qui a ensuite été ordonnée par la Cour Suprême du Guatemala. Virginia Laparra a été libérée au début janvier 2024.
La lutte pour l’État de droit et la protection des droits humains est longue et semée d’embûches. La directrice d’ASFC au Guatemala garde espoir. Elle rêve du moment où le Guatemala pourra sortir de cette tempête, en se dotant à nouveau d’institutions fortes comme la CICIG pour se débarrasser définitivement de la corruption. Elle rêve d’un moment où les responsables des crimes seront jugés et où l’on respectera le travail des défenseur.e.s des droits humains. C’est ce qu’elle veut pour le pays. Un climat démocratique où l’on respecte la volonté du peuple et où règne la primauté du droit.2
Vous pouvez regarder l’entrevue en entier (en espagnol) avec la directrice d’Avocats sans frontières Canada au Guatemala, Claudia López David.
1 L’Unité de protection des défenseures et défenseurs des droits humains au Guatemala (UDEFEGUA) a recensé 2 273 attaques contre des personnes militant pour les droits fondamentaux ou travaillant dans le secteur de la justice en 2022. Amnistie International, Rapport 2022-2023, [En ligne] https://www.amnesty.org/fr/location/americas/central-america-and-the-caribbean/guatemala/report-guatemala/
2 « The Rule of Law » [primauté du droit en français] désigne le principe général voulant qu’à la fois les citoyens et les autorités politiques soient soumis à la loi ou selon l’expression populaire, que «personne n’est au-dessus de la loi ». Jurisource.ca, [En ligne] https://www.jurisource.ca/ressource/primaute-du-droit-et-regle-de-droit/