• Blogues

15 mai 2018

Diana P. Carvajal

Conseillère juridique volontaire

 

Durant le 6ème Congrès péruvien des droits de l’Homme, j’ai l’honneur d’être invitée à échanger sur l’impact dans l’exercice des droits humains de l’activité économique des entreprises, notamment celles dédiées aux activités extractives. J’ai ainsi eu l’occasion de discuter sur  le thème du « Litige transnational en responsabilité civile comme mécanisme de protection des droits humains » et d’examiner sur quelques développements jurisprudentiels nord-américains concernant des actions transnationales en responsabilité civile dérivées des violations des droits de la personne.

 

L’objectif de cette présentation était de mettre en lumière les avantages et les inconvénients pour un demandeur péruvien d’entamer une action transnationale en responsabilité civile, dans le but d’obtenir une indemnisation pour les préjudices causés par les actions dommageables d’une entreprise multinationale.

 

L’Université nationale de San Marcos (UNSM), la plus grande université au Pérou, a ouvert ses portes pour la réalisation du séminaire, organisé conjointement par plusieurs organismes de défense des droits de la personne, tels APRODEH, le Bureau national de coordination des droits humains, l’Atelier des droits humains Alfredo Torero de la Faculté de lettres et sciences humaines de l’UNSM, le Centre Flora Tristan pour la femme péruvienne, ainsi que l’Étude pour la défense des droits de la femme (DEMUS).

 

Guidés par des experts nationaux et internationaux, les assistants, des avocats, des membres de la société civile, des leaders communautaires et des étudiants de la faculté de droit et sciences politiques de l’UNSM, ont été nombreux à participer aux différentes discussions thématiques.

 

Des réflexions hétérogènes

 

Au terme des discussions, quelques réflexions ont été poussées sur les défis mondiaux des droits humains face au pouvoir économique des entreprises. L’accent fut mis sur les changements d’acteurs et de pouvoirs sur la scène internationale ainsi que sur le besoin de créer des mécanismes alternatifs de protection des droits des plus vulnérables. D’après les conférenciers, dorénavant, ces mécanismes devraient focaliser davantage sur les responsabilités dérivées de l’activité corporative que sur la responsabilité des États.

 

Les participants se sont inquiétés de l’état d’affectation des droits des peuples autochtones par les industries extractives. Dix ans après l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les droits de peuples indigènes à jouir de leurs ressources naturelles et à décider librement sur leur avenir, sont encore gravement bafoués. Selon Fabiola Yecking, candidate au doctorat en Anthropologie de l’École de hautes études en sciences sociales de Paris, au Pérou, la pyramide de droits est inversée et les droits privés des investisseurs sont placés au-dessus des droits fondamentaux.

 

La responsabilité sociale des entreprises dans des cas de traite de personnes liée à l’industrie extractive fut rappelée. Par ailleurs, la situation des filles indigènes qui continuent d’être arrachées de leurs milieux pour travailler dans les villes dans des conditions très précaires est inquiétante. À ce sujet, le besoin de créer de mécanismes afin de propulser un changement dans la mentalité péruvienne par rapport au rôle de la femme dans la société a été mise en exergue.

 

Lors de la table de discussion intitulée : « Les impacts de la capture de la démocratie et des droits de l’Homme par les entreprises » les participantes ont présenté leurs préoccupations par rapport à la criminalisation croissante de la contestation sociale et de la défense des droits communautaires. L’un des exemples présentés concerne les contrats signés entre l’État et les entreprises extractives dans le but de garantir la sécurité de ces dernières. Ces ententes ont souvent dérapé dans l’usage souvent abusif de la force de la part de la Police nationale contre des membres de la communauté qui manifestent leur opposition aux projets extractifs.

 

La problématique de la communauté de La Oroya fut amplement discutée à la table thématique sur l’impact de l’activité minière sur les droits à la santé et un environnement saine. Les répercussions se prolongent sur le droit au logement digne, ainsi que sur la souveraineté alimentaire, l’agriculture familiale et le droit à l’alimentation. Il convient de souligner qu’APRODEH représente plusieurs victimes devant la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) et le cas est en attente du rapport sur le fond.

 

L’évènement fut clôture avec des témoignages de femmes qui ont subi des conséquences sur leurs droits, dont l’origine est l’activité des entreprises multinationales. Principalement affectées par la violence de genre, l’insécurité économique et alimentaire et les effets adverses des problèmes environnementaux sur leur santé et celle de leurs enfants, ces femmes luttent pour l’accès à d’opportunités de travail qui respectent leur droit à l’autodétermination.

 

Bilan et stratégies de solution

 

Les promesses de croissance économique et de développement n’ont pas entraîné un effet bénéfique pour l’ensemble de la population concernée. Au contraire, la qualité de vie des paysans, communautés indigènes et membres les plus vulnérables de la population, notamment, des femmes et des enfants, diminue sans que des actions efficaces soient résolument instaurées afin de contrer les effets néfastes de l’activité économique.

 

Les pistes de solutions proposées par les participants ont été nombreuses et vont de la prise de mesures relevant du milieu communautaire à l’adoption des traités internationaux contraignants qui permettent d’exiger des entreprises concernées. Bien entendu, les mécanismes existants dont la consultation préalable et les actions devant les instances internationales et les tribunaux transnationaux ont suscité l’intérêt particulier des participants dans la recherche de résultats les plus efficaces et opportunes.

 

En septembre 2018, le Congrès annuel de droits humains abordera le sujet du litige stratégique comme mécanisme qui vise, outre la justice pour les victimes, des changements sociaux et politiques, à l’aide des outils juridiques. Les régressions en matière de protection des droits humains au Pérou, liées particulièrement à l’activité économique, démontrent en effet le besoin de continuer à répondre aux patrons de violence persistants avec l’expérience en litige stratégique acquise, pendant plus de trois décennies de travail, par les représentants des victimes.

 

Sur l’auteure 

 

Diana P. Carvajal est conseillère juridique volontaire. Elle est déployée au Pérou dans le cadre du projet « Protection des enfants, femmes et autres collectivités en situation vulnérable» (PRODEF) mis en œuvre par Avocats sans frontières Canada (ASFC) et le Bureau international des droits des enfants (IBCR), grâce à l’appui financier du gouvernement du Canada. À l’heure actuelle, elle appuie l’organisation Asociación Pro-Derechos Humanos (APRODEH), en défense des personnes et communautés victimes des violations des droits humains par le biais du litige stratégique.