Rokiya Camara-Diarra
Conseillère juridique volontaire
Un proverbe africain dit qu’« il faut tout un village pour élever un enfant ». Je peux affirmer qu’il est d’usage au Bénin.
J’ai intégré la coopération internationale en juillet 2022 comme conseillère juridique volontaire pour le projet PLURIELLES. Ce dernier vise l’amélioration des droits relatifs à la santé sexuelle et reproductive des femmes et adolescentes en situation de vulnérabilité et/ou marginalisées, ainsi qu’à lutter contre les violences basées sur le genre, dans trois pays : le Burkina Faso, le Mali et le Bénin, où je suis déployée. Après y avoir passé plus d’un an, je comprends aujourd’hui mieux les réalités culturelles de ce pays, où la cohésion sociale est l’affaire de tout un chacun. C’est à Dantokpa que cela m’a frappé pour la première fois.
Dantokpa est le plus grand marché d’Afrique de l’Ouest, cœur battant et poumon économique de Cotonou. Je m’y suis rendue sur le conseil de collègues et connaissances, disant qu’il s’agirait d’une promenade intéressante. C’est donc accompagnée d’un ami qui parle et comprend le Fongbé, une langue locale, que j’en ai fait l’expérience. Ce dernier alors que nous nous déplacions tant bien que mal entre véhicules, passant.e.s et client.e.s qui peuplaient le marché, m’a interpellé sur la conversation entretenue par deux femmes aux abords de la route que nous tentions de traverser. L’une d’entre elles expliquait à la seconde que sa nièce de 16 ans était enceinte d’un homme plus âgé qu’elle, qui a ensuite pris la fuite. Mon ami m’a rapporté ses paroles : « Et on lui avait dit pourtant de faire attention, mais elle n’a pas écouté et il a fui, que va-t-elle devenir maintenant ? C’est la honte ! ».
Cette histoire m’a rappelé de nombreuses autres que j’ai pu entendre à titre personnel, notamment au Bénin. Une histoire dans laquelle la femme est mise en cause. C’est donc ce proverbe qui m’est revenu en tête : « Il faut tout un village pour élever un enfant ». Sa famille, ses proches, son « village », en la jugeant plutôt qu’en l’accompagnant, définissent la lunette par laquelle cette « enfant » percevra elle-même la vie. Une jeune fille, dont la vulnérabilité est renforcée par son état de grossesse, devrait être éduquée à la maternité. Pourquoi est-elle perçue comme fautive?
Quelques mois plus tard, la Haie-vive, quartier huppé de Cotonou, a été le théâtre d’une autre histoire. En sortant pour aller manger, les échos d’une foule se faisaient entendre depuis mon portail. À ce moment, je n’y prêtais pas attention, la rue étant d’ordinaire animée. C’est en me rapprochant que je me suis aperçue de la violence de la scène. Un voisin qui avait l’habitude de me voir passer s’est empressé de m’expliquer qu’un jeune homme avait mis sa main aux fesses d’une jeune fille qui passait par là. Offusquée, celle-ci a souhaité appeler la police. Toute la rue s’est ameutée lorsqu’elle s’est mise à gifler son agresseur, à revers et à de nombreuses reprises. De petits bruits d’explosion semblables à ceux que font les claques-doigts ont retenti. Quelques personnes la suppliaient de ne pas en faire cas, un essayait de la retenir, sans réelle force, alors qu’elle attrapait le garçon par le col.
Je ne me suis pas arrêtée devant la scène, même lorsque mon voisin me racontait les faits. Mais, une image me demeure en tête : le regard de la femme lorsque je l’ai dépassée. Il était plein de colère et larmoyant. La justice sociale et la justice publique s’étaient soustraites au profit de la loi du talion et de celle de la communauté. Une loi qui quémande à la femme de ne pas interpeller la police.
Ici, la victime devient à la fois juge et avocate de sa propre affaire d’agression. Elle se défend de vouloir appeler à la police, mais en est dissuadée par la pression sociale. Elle décide donc de la sentence et de la punition de son agresseur : des gifles à répétition. Le « village » est divisé. « Elle ne devrait pas le gifler », disent certains hommes, là où d’autres reconnaissent qu’il a fauté et qu’il vaut mieux des gifles à la police. Les femmes sont toutes en colère, pour elles: « c’est la police qu’il faut appeler, il recommencera, il est impoli ! ».
En matière de droits, de santé sexuelle et reproductive, ainsi que de violences basées sur le genre, il est essentiel de reconnaître que le « village » représenté ici par le quartier et les personnes qui y résident ne s’y limite pas.
Le système informatisé des données sur la famille, la femme et l’enfant nouvelle génération (SIDOFFE-NG) a enregistré 1539 cas de grossesses précoces au Bénin. Il ressort également du Rapport provisoire sur l’étude des violences basées sur le genre qu’en 2022 : « 59% des femmes de 15 ans et plus » ont été victimes de violences basées sur le genre.
Pour véritablement soutenir et protéger les femmes et adolescentes vulnérables et/ou marginalisées, ainsi que les victimes et les survivantes de violences basées sur le genre, il est crucial que les institutions judiciaires et sociales fassent leur part. C’est une clé de voûte du projet PLURIELLES.
Tout comme l’adage dit qu’« il faut tout un village pour élever un enfant », il en va de même pour répondre aux besoins des victimes et des survivantes. Depuis peu, le Bénin met en oeuvre une réforme de ses procédures opérationnelles standardisées qui consistent en une prise en charge complète et holistique des personnes ayant subi des violences basées sur le genre. La réponse à ces violences doit être systémique et globale.
Les institutions judiciaires doivent garantir un accès équitable à la justice en poursuivant les auteurs et en mettant en place des mesures de protection adéquates. Quant aux institutions sociales, elles doivent être spécifiquement chargées de venir en aide et d’accompagner les femmes et les adolescentes qui en ressentent le besoin. Cela implique des services de soutien psychologique, des programmes de réinsertion sociale, des abris sécurisés et un accompagnement personnalisé pour aider les personnes affectées à se reconstruire.
En collaborant, ces différentes parties du « village » peuvent contribuer à briser le cycle de la violence basée sur le genre. Ainsi, la jeune fille et la passante auraient les deux été prises en charge dans un environnement sûr, compatissant et solidaire. L’engagement actif et coordonné des institutions judiciaires et sociales est essentiel pour mettre fin à l’impunité de ces violations des droits humains, renforcer la prévention et offrir un soutien holistique aux personnes touchées par ces phénomènes dévastateurs.
Sur l’autrice
Rokiya a été déployée au Bénin dans le cadre du projet PLURIELLES – Renforcer la santé et les droits sexuels et reproductifs au Bénin, Burkina Faso et Mali, mis en œuvre en consortium avec Santé monde et Socodevi, grâce au soutien financier du gouvernement canadien, à travers Affaires mondiales Canada.