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29 novembre 2018

Liza Yelle

Conseillère juridique volontaire

 

Après cinq semaines de procès dans le dossier des huit premiers accusés pour l’assassinat de Berta Cáceres, il était venu le temps pour les parties de présenter leurs conclusions sous forme de plaidoirie orale. Le tribunal a alloué 40 minutes à chaque partie pour faire leurs représentations.

 

Le ministère public a d’abord dressé un portrait de Berta Cáceres et de sa lutte pour la défense des droits humains, de l’environnement, des territoires et des droits du peuple autochtone Lenca. Parmi ses activités de plaidoyer principales a figuré sa lutte contre la construction du projet Agua Zarca de l’entreprise DESA. Selon le ministère public, depuis 2013, il y aurait eu un patron d’actions de la part de cette entreprise visant à empêcher et limiter les activités du COPINH par le moyen d’une influence politique et économique.

 

Le ministère public a ensuite présenté le rôle qu’aurait joué chacun des accusés dans la planification et l’exécution du crime. Ses conclusions sont extrêmement similaires à celles qu’avait présentées l’experte en communication Brenda Barahona, mais prennent en compte les autres preuves présentées au cours du procès .

 

Le ministère public demande au tribunal de reconnaître la culpabilité de Douglas Geovanny Bustillo, Mariano Diaz, Sergio Rodriguez Orellana, Henrry Javier Hernandez, Elvin Rapalo Orellana, Oscar Torres Velasquez et Edilson Duarte Meza pour le crime d’assassinat avec facteurs aggravants1 et préméditation sur la personne de Berta Cáceres. De plus, le ministère public demande au tribunal de déclarer ces sept accusés coupables de la tentative d’assassinat du témoin protégé. Berta Cáceres aurait été sous surveillance et les accusés auraient donc su qu’elle était accompagnée, mais ils auraient tout de même décidé de passer à l’acte.

 

Finalement, le ministère public a demandé à ce que Emerson Duarte Meza soit plutôt condamné pour avoir dissimulé de la preuve (encumbirimiento). Effectivement, on aurait trouvé à son domicile l’arme qui aurait causé la mort de Berta Cáceres sans qu’il ne donne une explication.

 

Par la suite, les représentants légaux de chaque accusé ont présenté leurs conclusions en réfutant les preuves qui avaient été déposé contre eux durant le procès. Tous les avocats ont déclaré que le ministère public n’avait pu prouver la participation de leurs clients dans les crimes et ont demandé qu’ils soient acquittés.

 

Le rapport d’expertise en communication de Brenda Barahona a été critiqué sur plusieurs aspects. Selon plusieurs avocats, elle aurait établi des conclusions qui allaient au-delà de la portée de son mandat. Selon la loi hondurienne, les expertises doivent être de nature technique et non juridique et certains avocats estiment qu’elle a dépassé cette ligne. De plus, elle aurait fait des inférences subjectives et n’aurait pas considéré tous les messages dans les communications.

 

Brenda Barahona aurait aussi commis de graves erreurs dans les résultats de triangulation des communications, ce qui minerait la crédibilité de la totalité de son expertise. On a également souligné le manque d’instruments techniques qui l’aurait empêché de faire une expertise complète. Enfin, certains avocats ont allégué que l’écoute électronique était illégale.

Des avocats des accusés ont critiqué l’analyse de la scène du crime en alléguant qu’elle était contaminée ou altérée, puisqu’à l’arrivée des policiers il y avait déjà beaucoup de personnes à l’intérieur de la maison.

 

Les avocats ont aussi mis en doute la crédibilité de plusieurs témoins, notamment le témoin protégé qui a affirmé avoir reçu une confession de la part d’Elvin Rapalo Orellana, alors qu’il aurait prétendument été sous l’influence de l’alcool et de la marijuana, ou  celle d’une témoin membre du COPINH qui a affirmé que Sergio Rodriguez Orellana menaçait Berta Cáceres, alors que l’experte n’a présenté aucune communication entre eux.

 

Les représentants des accusés ont fait ressortir plusieurs faiblesses de l’enquête du ministère public, dont l’absence d’enquête sur plusieurs indices ou éléments de preuve. Par exemple, on n’aurait pas enquêté sur les traces de bottes retrouvés sur la scène du crime, les 41 munitions de plusieurs calibres chez Edilson Duarte Meza, certains téléphones perquisitionnés et d’autres numéros de téléphone avec qui des accusés ont eu des communications.

 

De plus, les preuves que le ministère public a obtenues afin d’identifier les utilisateurs de deux numéros de téléphone enregistrés à d’autres noms et qui se trouvaient proches de la scène du crime seraient très faibles. Dans les deux cas, les enquêteurs se seraient basés sur une seule source humaine et quelques indices provenant des réseaux sociaux. Même si cela était suffisant pour affirmer qu’ils étaient les utilisateurs de ces numéros au moment de l’enquête, on n’aurait pas réussi à prouver que les accusés utilisaient ces numéros au moment du crime.

 

En ce qui concerne les accusations de tentative d’assassinat, plusieurs avocats ont soulevé les conclusions du docteur qui a évalué les blessures de la victime à l’effet qu’il n’y avait pas eu de risque pour sa vie et que de se fait on ne pouvait par retenir une accusation de tentative de meurtre.

 

Pour ce qui est de l’accusation contre Emerson Duarte Meza, son avocat a reconnu que l’arme avait été retrouvée chez lui, deux mois après le crime. Par ailleurs, l’accusé a déjà été condamné pour cette possession illégale et a purgé sa peine. En outre, selon la loi hondurienne, une personne ne peut être coupable du crime de dissimulation de preuve (encumbrimento) lorsque cela aurait comme objectif de protéger un membre de la même famille. Or, dans les faits, l’accusé Edilson Duarte Meza, soit le frère jumeau d’Emerson, est accusé d’avoir eu une participation directe dans l’assassinat, alors qu’Emerson lui-même est seulement accusé d’encumbrimiento de l’arme du crime.

 

Déclaration d’une victime

 

Après les plaidoiries finales, le tribunal a invité les victimes présentes à faire usage de leur droit à être écoutées. Laura Zuniga Cáceres, accompagnée de sa sœur Olivia Zuniga Cáceres, a ainsi pu prendre la parole dans le procès portant sur l’assassinat de leur mère. Le témoignage de Laura2 a été extrêmement touchant; plusieurs observateurs semblaient ébranlés par ses propos et la force avec laquelle elle s’adressait au tribunal.

 

Laura Zuniga Cáceres a expliqué comment elles ont vu leur mère marcher, lutter et s’opposer à un projet et une entreprise qui, en retour, serait responsable de persécutions à son endroit. Aux dires de sa fille, Berta Cáceres se battait contre l’entreprise DESA et son projet hydroélectrique Agua Zarca, car elle considérait qu’il s’agissait d’un projet qui violait certains droits protégés par les normes en matière de droits humains.

 

Selon Laura, l’assassinat n’a pas été commis seulement par les accusés dans ce procès, mais par une structure complexe d’acteurs. Leur mère leur aurait relaté fréquemment la situation de risques dans laquelle elle vivait. Elle leur aurait raconté que Douglas Geovanny Bustillo la menaçait et la harcelait, que David Castillo la harcelait et que Sergio Rodriguez Orellana se moquait d’elle et faisait campagne contre sa personne pour avoir gagné le prix environnemental Goldman.

 

Laura Zuniga Cáceres a aussi affirmé qu’elle devait parler en cette journée, car le système judiciaire n’a pas permis aux victimes de participer. En effet, leurs représentants légaux ont été préalablement exclus du processus. Elle estime que l’accusation privée aurait dû être présente afin de pouvoir présenter sa théorie et d’exposer le contexte entourant les faits de l’affaire. De plus, les victimes auraient été exclues dès les premiers moments de l’enquête, alors qu’on leur aurait refusé le droit à un observateur indépendant lors de l’autopsie. Laura Zuniga Cáceres affirme qu’elles ont par la suite dû se battre à chaque étape de l’enquête et du processus judiciaire afin d’obtenir de l’information. Elles ne l’auraient pas fait par caprice, mais bien parce qu’elles voulaient que tout soit fait afin de connaître la vérité. Non seulement car c’est leur droit, mais également parce qu’elles considèrent que c’est le droit du peuple hondurien. Un recours en récusation contre le tribunal et une dénonciation contre le ministère public ont été présentés, car les victimes voulaient le meilleur processus judiciaire possible afin que celui-ci puisse servir de précédent.

 

Laura Zuniga Cáceres a conclu en déclarant que la lutte pour la justice dans cet assassinat ne se termine pas ici et qu’il y aura d’autres processus judiciaires. Elle affirme qu’elles ne sont pas des victimes passives et qu’elles vont continuer à lutter, non seulement parce que Berta Cáceres et le peuple Lenca le méritent, mais aussi parce que la structure criminelle responsable de l’assassinat de leur mère est toujours active.

 

Dernière déclaration des accusés

 

Enfin, les accusés ont pu faire une déclaration finale. La majorité des accusés ont simplement déclaré qu’ils sont innocents de ce dont on les accuse. Quant à lui, Sergio Rodriguez Orellanna a témoigné sur les souffrances éprouvées par lui et sa famille depuis son arrestation et il précise pouvoir bien comprendre la douleur de la victime. Cette déclaration a semblé insulter plusieurs membres du public, heureusement les victimes avaient déjà quitté la salle. Il a ajouté qu’il comprenait particulièrement la situation, car son père a été assassiné dans les années 90 et il n’y aurait pas eu d’enquête à la suite de sa mort. Peu importe la culpabilité de cet accusé, cela a rappelé le cycle de violence et d’impunité dans lequel les Honduriens doivent vivre quotidiennement.

 

La décision du tribunal devrait être présentée le jeudi 29 novembre à 16h.

 

Sur l’auteure 

 

Liza Yelle est conseillère juridique volontaire d’Avocats sans frontières Canada (ASFC) dans le cadre du projet « Justice, gouvernance et lutte contre l’impunité au Honduras ». Liza participe actuellement à l’observation du procès de Berta Cáceres en coalition avec différentes organisations nationales et internationales de droits humains. Le projet est réalisé avec l’appui du gouvernement du Canada, accordé par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

 

Références

 

1 – Alevosía

2 – Transcription de sa déclaration au tribunal : https://copinh.org/2018/11/laura-zuniga-caceres/