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13 août 2018

Marilynn Rubayika

Conseillère juridique volontaire

 

Depuis quelques semaines, une question m’est souvent posée : « Qu’as-tu le plus appris de ton expérience en Côte d’Ivoire ? ». La vérité est qu’à ce jour, je n’ai pas encore une réponse exacte, ou plutôt, j’ai beaucoup de réponses et la synthèse n’est toujours pas faite. Parmi les nombreuses leçons tirées de mon expérience, je tiens à vous en partager une : si le chemin de la lutte pour le respect des droits humains est long, nous pouvons être certain de croiser l’inspiration sur notre route.

 

J’aimerais que vous fassiez ce voyage dans le passé avec moi, c’est-à-dire il y a huit mois, en novembre 2017, lorsque je préparais mon départ pour Abidjan. Lorsque je disais à mes proches et connaissances que j’allais « faire de la coopération volontaire », j’ai eu droit à plusieurs réactions. La plus marquante de toutes : « ah, les droits de l’Homme, les droits de l’Homme ! Tu fais probablement partie de ceux-là qui croient encore en la justice dans ce monde ! Une idéaliste ! »

 

Pourtant, j’étais loin de cela. Depuis déjà deux ans, je m’intéressais, dans mon parcours académique, à un domaine de droit précis : le droit pénal international. Il va sans dire qu’il est difficile d’être idéaliste lorsqu’on constate le nombre de victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans notre monde. Au contraire, quelques fois, cette prise de conscience permet à ce que j’appelle « la fatalité » de se faufiler dans notre façon de penser : en arriver à se dire que c’est une lutte perdue d’avance.

 

Lors de la formation pré-départ, une phrase dite par l’une de nos formatrices m’est restée : « La coopération que fait Avocats sans frontières Canada en Côte d’Ivoire ne consiste pas à faire le travail pour les Ivoiriens. Il s’agit plutôt d’assister les acteurs locaux dans leur travail par le moyen du renforcement des capacités ».  Qui sont ces acteurs ? Dans mon travail, j’ai côtoyé des avocats, des fonctionnaires, des activistes, des représentants d’associations de victimes, des juristes et des étudiants-stagiaires qui, chacun à sa manière, contribuent à l’amélioration de la situation des droits humains en Côte d’Ivoire.

 

Dans ce milieu, même les victoires les plus petites sont énormes. Le contraire aussi est parfois vrai car les victoires les plus significatives restent petites, elles ne satisfont pas : on se dit que sans les obstacles rencontrés, elles auraient pu être plus grandes. Et dans les moments les plus difficiles, il me suffisait d’échanger avec certains d’entre eux pour retrouver mon élan.

 

En Côte d’Ivoire, le peuple entier s’intéresse aux questions des droits et libertés. Cependant, ce qui fait la différence pour ceux qui choisissent de faire du respect des droits humains un combat de vie, c’est cette passion pour l’humain. Cette passion qui me rappelait à chaque fois pourquoi j’ai choisi cette carrière. Les Ivoiriens m’ont rappelé que tant qu’il y en aura qui auront cette passion, la lutte ne sera jamais perdue. À défaut de pouvoir vous partager tous ces échanges, je tiens à mettre de l’avant des femmes et des hommes qui, poussés par leurs convictions, travaillent à promouvoir et à défendre les droits humains en Côte d’Ivoire.

 

« Pour moi, c’est par conviction que je fais ce travail. On ne peut pas construire une société où il fait bon vivre en restant dans son coin, il faut donner une part de son altérité aux autres. Les droits de l’Homme étant fondés sur la dignité de l’être humain, aider l’autre à conserver ou à restaurer sa dignité c’est, en réalité, s’aider soi-même parce que l’autre est un miroir. Il faut pouvoir se regarder. Si l’autre est malheureux et que je le regarde indifféremment, c’est d’oublier que j’aurais pu être à sa place et lui à la mienne. C’est un travail difficile mais l’envie d’aider l’autre est plus forte que cette difficulté. »

 

Me Brahima Coulibaly, avocat et Secrétaire Général du MIDH

 

« J’ai voulu faire le droit car j’ai toujours été impressionnée par les avocats. Depuis la classe de seconde, je savais exactement ce que je voulais faire et où je voulais le faire.  Par la suite, je me suis beaucoup intéressée aux questions de droits des enfants et surtout, des personnes vulnérables. Je fais du droit, parce que j’ai un goût prononcé pour la justice et l’égalité. Personne ne m’y a obligé, c’est un choix personnel. A travers le droit, j’espère faire valoir les droits des personnes vulnérables. Les soutenir judiciairement dans leurs luttes de tous les jours. Je veux essayer de faire connaître à tout un chacun leurs droits. Je m’intéresse particulièrement aux enfants en difficultés. Dans ce cadre, j’organise souvent des actions bien qu’elles soient minimes, pour leur venir en aide ».

 

Marie-Danielle Assemand, stagiaire au MIDH

 

« Le droit était une décision personnelle. Depuis le bas âge j’ai toujours été animé par le désir de justice. Je veux donc pouvoir apporter ma pierre à l’édifice pour un monde meilleur. Que ce soit en tant qu’avocat pour défendre les droits des individus dans une société parfois injuste ou représenter les intérêts de mon pays sur la scène internationale. En gros, me sentir utile dans l’avancement de notre société africaine. A vrai dire je trouve pratiquement tous les domaines de droit intéressants, le choix est donc difficile. Mais prioritairement, j’opterais pour le domaine privé et de diplomatie. Ma plus grande difficulté ? Je dirais le volume de connaissance à acquérir mais avec la passion du droit ça se passe naturellement bien ».

 

Aziz Ouedraogo, stagiaire au MIDH

 

« Je n’ai jamais voulu faire du droit. J’ai été obligé par mon père. J’ai toujours voulu faire de la communication. Maintenant que je fais le droit, je veux aider les enfants et plus précisément, les délaissés, les orphelins et les enfants de la rue. Je pense que je peux concilier le droit à la communication en utilisant la communication comme moyen pour dénoncer certains maux de notre société comme les violations des droits de l’Homme. Je veux dénoncer l’utilisation des enfants comme soldats. J’écrirai pour dénoncer ».

 

Sandra Angan, stagiaire au MIDH

 

« Je me suis intéressé aux droits de l’Homme depuis la première année à l’Université. J’étais influencé par un de mes professeurs qui était président de la toute première association de défense des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire. J’ai tout de suite rejoins cette organisation et plus tard, j’ai décidé de me spécialiser à la maitrise dans cette discipline. Aujourd’hui, je travaille au MIDH et je dirais que c’est plus que du travail. Pour moi, c’est un don de soi, c’est un sacerdoce. Mon souci est d’arriver à bâtir un état de droit véritable avec à son cœur, une institution judiciaire forte. À cette fin, la coopération internationale est très importante, selon moi, et est à promouvoir puisqu’elle nous permet de produire des résultats probants en faveur des organisations qui bénéficient de l’appui ».

Amon Dongo, Directeur exécutif du MIDH

 

« Je me suis inscrite en faculté de droit car je voulais être juge, j’aimais cette profession et ce qui m’attirait c’était de pouvoir juger les criminels, ceux qui font le mal pour ne plus qu’ils en fassent. Aujourd’hui, en tant que juriste et défenseur des droits de l’homme j’espère contribuer à la mise en place d’un système judiciaire équitable en Côte d’Ivoire. Cela pourra être possible avec l’élaboration des lois garantissant la liberté d’expression, le respect de la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire et l’indépendance des juges. Ce qui me touche le plus c’est l’impunité qui règne en Côte d’ivoire et le laxisme du pouvoir judiciaire. C’est pour ça que j’ai choisi de lutter contre la violation des droits fondamentaux ».

Yeo Judith, membre du MIDH

 

Cette formatrice disait vrai : la coopération que fait Avocats sans frontières Canada en Côte d’Ivoire ne consiste pas à faire le travail pour les Ivoiriens. Il s’agit plutôt de joindre nos forces, nos capacités et notre savoir aux leurs pour une meilleure effectivité. Ensemble, nous affrontons les difficultés et célébrons les victoires. Nous nous encourageons et nous instruisons mutuellement. Ensemble, nous croyons que tant et aussi longtemps que la lutte pour le respect des droits humains aura pour source la passion pour l’humain, elle ne sera jamais vaine et encore moins perdue.

 

Sur l’auteure 

 

Marilynn Rubayika est conseillère juridique volontaire. Elle a effectué un mandat dans le cadre du projet « Protection des droits des enfants, femmes et autres collectivités vulnérables » (PRODEF) mené par Avocats sans frontières Canada en consortium avec le Bureau international des droits des enfants.