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10 avril 2025

À quelques mètres du bureau d'Avocats sans frontières Canada à Bamako, des femmes organisées en coopérative exploitent une petite parcelle sur laquelle elles cultivent de la laitue, de la citronnelle ou encore du céleri © ASF Canada

Par Fatoumata Bongal Diero

Conseillère volontaire en gestion de projet

 

Dans ce blogue, nous plongeons ensemble dans la bataille pour la terre qui oppose les femmes à un système patriarcal profondément enraciné.

 

Les femmes ouest-africaines peinent à faire valoir leurs droits d’usage et de propriété foncière. Les normes culturelles et sociales favorisent les hommes dans l’héritage et la gestion des terres, tandis que des lois foncières discriminatoires ou mal appliquées et un accès limité aux ressources financières compliquent davantage la réalisation de leurs droits. La marginalisation des femmes dans les instances ainsi que les conflits fonciers exacerbent les obstacles auxquels elles sont confrontées.

 

Les défis systémiques qui entravent l’accès des femmes aux biens-fonds

 

Les traditions patriarcales jouent un rôle majeur dans l’exclusion économique des femmes. La terre est traditionnellement transmise aux hommes, les femmes étant perçues comme des membres temporaires de leur famille d’origine, vouées à rejoindre celle de leur mari après le mariage. Cette pratique vise à éviter que le patrimoine familial ne soit transféré à une autre lignée ou famille. En conséquence, les femmes sont souvent privées de l’héritage foncier et, par extension, de leur capacité à garantir leur sécurité économique.

 

Outre les coutumes, le cadre juridique contribue également à complexifier la situation. Bien que de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest inscrivent dans leurs lois le principe d’égalité entre les femmes et les hommes en matière d’accès à la terre, la mise en œuvre de ces dispositions demeure largement insuffisante.

 

De plus, la coexistence des systèmes juridiques formels et coutumiers crée une zone d’incertitude, où les droits des femmes peinent à être reconnus. Par exemple, le fait que les mariages coutumiers ne soient pas systématiquement enregistrés limite la reconnaissance légale des droits fonciers des femmes. En l’absence de documents prouvant leurs droits et face à des obstacles financiers majeurs, tels que les coûts élevés des procédures judiciaires et la nécessité d’un.e avocat.e, il devient extrêmement difficile en cas de décès de l’époux pour les femmes de faire valoir leurs droits devant les tribunaux.

 

L’accès au crédit représente un défi supplémentaire. Les femmes sont souvent considérées comme des emprunteuses à risque par les institutions financières, en raison de leur manque de garanties, notamment l’absence de biens fonciers à mettre en hypothèque, et de leurs revenus souvent plus faibles. La difficulté à accéder aux financements empêche les femmes d’acquérir ou de sécuriser des terres, les plaçant dans un cercle vicieux où leur exclusion économique est perpétuée. Or, un accès sécurisé à la terre est une condition essentielle à la réalisation de plusieurs droits humains, tels que le droit à l’alimentation, au logement, à la santé ou à la participation à la vie sociale et culturelle. Cela souligne le rôle central de la terre dans l’effectivité des droits et la lutte contre les inégalités structurelles.

 

Ces défis combinés – traditionnels, juridiques et financiers – forment un système complexe d’inégalités qui freine l’accès des femmes aux ressources foncières et, plus largement, à l’autonomie économique.

 

Les femmes, premières victimes du changement climatique

 

Le changement climatique exacerbe les difficultés d’accès au foncier pour les femmes en aggravant davantage les vulnérabilités existantes. Les phénomènes climatiques extrêmes, comme les sécheresses et les inondations, détériorent la qualité des terres et réduisent leur disponibilité. Les terres dégradées deviennent moins productives, ce qui accroît la concurrence pour les terres arables. Les femmes, déjà marginalisées, sont les premières à être exclues dans ce contexte de rareté.

 

Les effets du changement climatique, comme la désertification et la montée des eaux, poussent les communautés à se déplacer, augmentant les conflits fonciers. Les femmes sont souvent laissées pour compte dans les processus de redistribution des terres.

 

Vers une autonomisation durable des femmes

 

L’accès aux droits de possession et d’usage des biens-fonds permet aux femmes d’accroître leur influence au sein de leur communauté. Il contribue à réduire les inégalités de genre et à renforcer leur participation aux processus décisionnels. Les femmes qui possèdent et exploitent des terres investissent davantage dans l’éducation et la santé de leurs enfants, créant ainsi des effets multiplicateurs positifs pour les générations futures.

 

Avocats sans frontières Canada collabore avec Développement international Desjardins dans le cadre du projet d’appui à l’autonomisation économique et sociale des femmes et des jeunes au Sénégal (PAFEJ). Dans le cadre de ce projet, des solutions concrètes sont proposées pour améliorer l’accès des femmes aux terres et aux ressources. Cela inclut des partenariats avec des institutions financières pour faciliter l’accès aux crédits et technologies nécessaires à la sécurisation des terres et au développement agricole. Des formations adaptées sont également prévues pour renforcer les compétences des femmes face aux enjeux climatiques. Enfin, la sensibilisation aux droits fonciers et l’accompagnement juridique permettent de sécuriser les biens-fonds et de résoudre les litiges.

 

Des initiatives comme PAFEJ offrent des exemples de bonnes pratiques pour soutenir les femmes dans l’accès aux ressources, la sécurisation de leurs droits et l’amélioration de leurs conditions économiques et sociales.

 

Soutenir l’accès des femmes à la propriété des biens-fonds est essentiel pour bâtir un avenir plus équitable et durable en Afrique de l’Ouest. Ce défi nécessite une action collective pour surmonter les obstacles systémiques. En sécurisant les droits des femmes sur la terre, nous favorisons leur autonomie économique, leur permettant d’investir dans leurs communautés et contribuant ainsi à la pleine réalisation de leurs droits humains en toute égalité. Cet accès sécurisé renforce également leur résilience face aux changements climatiques, en leur donnant la possibilité de mettre en place des pratiques agricoles durables et innovantes.

 

Sur l’auteure

 

Fatoumata Bongal Diero est conseillère volontaire en gestion de projet dans le cadre du projet «Appui à la justice et à la paix au Mali» (JUPAX), mis en œuvre grâce au soutien financier du gouvernement du Canada, par l’entremise d’Affaires mondiales Canada.

 

Sur le projet JUPAX

 

Le projet JUPAX, mis en œuvre de 2021 à 2025, a favorisé l’autonomisation par le droit des femmes, filles et autres personnes en situation de vulnérabilité afin qu’elles puissent transformer leurs droits humains en réalité dans une perspective d’égalité des genres, de transformation des relations de pouvoir, de réconciliation et de paix au Mali.

 

Sources

 

Comité des droits économiques, sociaux et culturels. (2022). Observation générale n° 26 sur les droits économiques, sociaux et culturels et l’accès à la terre (E/C.12/GC/26).

 

Bulletin d’information bimestriel de l’Observatoire Régional du Foncier Rural en Afrique de l’Ouest (ORFAO). (2022). Accès et contrôle du foncier rural par les groupes vulnérables dont les femmes et les jeunes.

 

Care Mali. (2018). Étude sur les déterminants dans les droits d’accès des femmes à la terre dans les régions de Ségou, Mopti et Tombouctou.

 

Van Veen, E., et al. (2015). Examiner les opérations : efficacité des systèmes judiciaires maliens et changements à y apporter. Institut Clingendael.

 

GIZ. (2024). Comment promouvoir l’accès des femmes au financement dans le secteur agroalimentaire ? Guide pour le personnel de la GIZ.

 

UNEP, ONU Femmes, PNUD, & DPPA. (2020). Genre, climat et sécurité : Maintenir une paix inclusive en première ligne du changement climatique.

 

Fonds international de développement agricole (FIDA). (2022). Pourquoi les droits fonciers sont-ils importants pour les femmes rurales? Conversation avec Steven Jonckheere.