• Témoignages

20 janvier 2021

Par Me Pascal Paradis

Directeur général d’Avocats sans frontières Canada (ASF Canada)

 

C’était en après-midi, le 8 décembre 2019. Elle essuie une larme et poursuit courageusement son témoignage sur son enlèvement et sa séquestration par des hommes armés au nord du pays en 2012. Devant elle, réunies dans l’immense salle à Bamako, capitale du Mali, près de 600 personnes, qui écoutent avec attention celle que l’on connaît sous le nom de Témoin #6. Parfois les regards se croisent, humides et solidaires. C’est la première fois dans l’histoire du Mali que des victimes sont invitées à témoigner publiquement, devant des représentants de l’État, des multiples violations impunies qu’elles ont subies.

 

Ce moment historique, on le doit à la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR) du Mali, qui poursuit depuis 2016 avec courage sa mission difficile dans un contexte qui l’est encore plus, avec l’accompagnement d’ASF Canada.

 

L’année 2020, éprouvante pour le reste du monde, l’a été encore davantage pour le Mali. Des massacres à caractère inter et extra communautaire ont été perpétrés, les groupes armés – incluant des groupes terroristes associés à Al-Qaïda – ont écumé le nord et le centre du pays, la pandémie a frappé, et le pays a connu en août dernier un quatrième coup d’État militaire en 60 années d’indépendance.

 

Le pays est le cinquième bénéficiaire en importance de l’aide internationale canadienne: 1,6 milliards sur 20 ans. Le Canada, notamment parce qu’il n’a pas de passé colonial en Afrique et qu’il est capable de déployer son aide internationale en français, peut contribuer à renverser la tendance. Le monde entier a intérêt à ce que l’anarchie ne gagne pas le Mali, le pays étant désormais l’une des clés de la stabilité et de la sécurité dans la région, en Afrique et dans le monde. Or, le nord du pays est déjà devenu une plaque tournante pour les trafics illégaux (armes, drogues, personnes).

 

Malgré ces constats, il y a de l’espoir, des avancées positives

 

La CVJR mène un processus exemplaire de réconciliation qui implique la société civile et les victimes et qui propose des réformes concrètes à l’État malien. Avec l’appui d’ASF Canada à la CVJR, le Canada est le pilier de ce processus fructueux. Au-delà de ce qui a été dit sur le déploiement des casques bleus canadiens au Mali, c’est un secret trop bien gardé: voilà un authentique succès de la politique étrangère canadienne.

 

Face à l’incertitude et l’insécurité, il y a la résilience et le courage : des victimes qui se tiennent debout pour que justice soit faite.

 

Comme la Témoin #6, plus de 18 000 Maliennes et Maliens ont collaboré avec la CVJR pour contribuer à établir la vérité, s’assurer que la justice prévale, faire en sorte que les violations massives des droits humains ne se reproduisent plus et que les victimes obtiennent réparation. La CVJR prépare d’ailleurs des audiences publiques spécifiquement sur les violences basées sur le genre, une initiative à laquelle le Canada peut être fier de contribuer compte tenu de sa Politique d’aide internationale féministe.

 

Rien n’est joué au Mali, mais nous restons convaincus qu’une approche basée sur la mise en œuvre des droits humains et plaçant les victimes au centre du processus est la meilleure voie à suivre. Alors, peut-être, les récits comme ceux de la Témoin #6 appartiendront définitivement au passé.