Du 18 au 19 juin 2022, plusieurs villages du cercle de Bankass dans la région de Bandiagara, dans le centre du pays, ont fait l’objet d’attaques faisant plus de 132 victimes civiles, selon le bilan officiel établi par les autorités maliennes dans un communiqué en date du 20 juin. La La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), l’Association malienne des droits de l’Homme (AMDH), et Avocats sans frontières Canada (ASFC) sont en mesure de révéler de premiers témoignages qui mettent en lumière la réalité de ces crimes.
Les organisations condamnent avec la dernière rigueur les violations graves des droits humains qui, à nouveau, font des populations maliennes les premières victimes du conflit armé qui sévit au Mali depuis 2012. Les autorités maliennes les ont attribuées aux combattants de la Katiba Macina d’Amadou Kouffa, membre du Groupe de Soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI) et ont indiqué avoir déjà identifié plusieurs auteurs présumés.
« Prises en étau dans le conflit armé opposant les groupes armés terroristes, les groupes armés non-étatiques et les forces armées maliennes, les populations civiles continuent à subir les pires exactions. Le massacre de Bankass est un épisode de plus dans ce cycle de violence et d’impunité qui détruit la confiance et la cohésion des populations du Mali. Nous saluons l’annonce faite par la MINUSMA de l’ouverture d’une enquête sur les circonstances précises de ces attaques. Il est également essentiel que les autorités maliennes diligentent une enquête approfondie, indépendante et impartiale pour établir les faits, situer les responsabilités et rendre justice aux victimes et à leurs familles. »
Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH
Des représailles ciblées
Les organisations ont pu recueillir plusieurs témoignages auprès des familles des victimes. L’attaque aurait débuté le samedi 18 juin dans l’après-midi dans les villages de Diallasagou, Diamweli et Deguessagou. Les récits font état d’enlèvements et d’exécutions sommaires. Les hommes des villages ont été regroupés, sortis des villages et executés, leurs habitations brûlées, leurs bétails et leurs possessions dérobés.
B. E. habite à Diallassagou. Il raconte.
« L’incident a commencé vers 16 heures, les assaillants sont venus sur plus de 100 motos (2 personnes par moto), ils ont encerclé le village de Diallassagou, et sont passés maison par maison à la recherche des hommes. Ils ont arrêté une cinquantaine d’hommes, les ont attachés pour les emmener à environ 2 km du village pour ensuite les exécuter. Ils ont par la suite dévalisé et brûlé les boutiques et magasins en emportant argent et d’autres biens. C’est après que certains ont pris la direction de Diamweli et Deguessagou. En tout, ils ont tué 132 personnes, tous des hommes, dont 67 à Diallassagou, 56 à Diamweli et 9 à Deguessagou. »
Selon d’autres témoins directs, les assaillants recherchaient des personnes présumées avoir «collaboré» avec les forces de défense et de sécurité maliennes.
I. D. vit également à Diallassagou.
« Ils sont entrés dans la maison de M., sa femme leur avait supplié de lui épargner sa vie car il était malade, ils ont répondu non en disant qu’ils étaient venus se venger en disant “ce sont vos hommes qui ont appelé la gendarmerie”(référence aux dénonciations qui ont donné suite aux opérations antiterroristes « Maliko » des FAMa le 24 mai 2022 à Diallassagou et Diamweli où l’armée a annoncé avoir « neutralisé 12 terroristes »). Les assaillants sont restés dans le village jusqu’à l’aube. Les militaires sont arrivés après le lever du soleil ».
Ces violations graves des droits humains, perpétrées essentiellement à l’égard des hommes, auraient été commises par les groupes armés dits extrémistes en représailles à des opérations militaires des Forces armées maliennes (FAMa). Ce mode de punition collective intervient dans une zone où des accords locaux avaient été passés en février 2021, entre les populations et les groupes armés dits extrémistes : engagement de « non-agression » par les groupes armés en échange d’un engagement des habitants à ne pas dénoncer ces derniers aux autorités. Les organisations rappellent que de telles violations, commises par des parties au conflit constituent des crimes de guerre. Les attaques contre les populations civiles sont formellement interdites par le droit international humanitaire.
L’échec du tout-sécuritaire
La FIDH, l’AMDH, et ASFC expriment leur grave préoccupation face à la recrudescence des attaques contre les populations civiles dans le cadre du conflit armé.
Réaffirmant que « la sécurité et la protection des personnes et de leurs biens rest[aient] sa priorité absolue », le gouvernement de la Transition a dépêché le 21 juin, avec l’appui de la MINUSMA, sur les lieux une délégation ministérielle. Les organisations rappellent que les événements de Bankass interviennent en pleine d’escalade de la violence marquée, d’une part, par une recrudescence des attaques menées par les groupes terroristes et d’autre part par une accélération des opérations militaires de lutte contre le terrorisme.
En dépit des engagements répétés de l’État malien, la justice reste en peine face aux violations graves subies par les populations civiles. Nos organisations rappellent d’ailleurs que la Cour pénale internationale a ouvert une enquête sur les crimes perpétrés au Mali et pourrait intervenir si les autorités nationales ne remplissent pas leurs obligations d’enquête et de poursuites.
« Le respect du droit international des droits humains, du droit international humanitaire et du droit des victimes à la justice, à la vérité et à la réparation ne peut être subordonné à un impératif sécuritaire, mais doit rester au centre des priorités des autorités de la Transition, pour briser le cycle des violences et garantir le retour à une paix durable. Celle-ci ne pourra voir le jour que si, en particulier, les enquêtes aboutissent à la poursuite et à la condamnation des auteurs, ainsi qu’à la réparation pour les victimes ; ce qui n’est encore que trop rare. »
Barbara Trachsel, directrice Mali d’ASFC.
Dans son rapport paru en juin 2022, la Coalition citoyenne pour le Sahel déplorait en moyenne 8 civil.e.s tué.es par jour au Sahel entre avril 2021 et mars 2022. Ces attaques sont attribuées aux groupes armés dits extrémistes, mais aussi d’autodéfense, ou aux forces de sécurité et de défense et à leurs partenaires internationaux. Pour le Mali, sur cette période le nombre de civil.e.s tué.e.s dans des attaques attribuées à des groupes armés dits extrémistes est en hausse de +133%.
« La résolution du conflit et de la crise que traverse le Mali depuis 2012 requiert une réponse politique globale qui place les revendications et la sécurité des populations civiles au cœur des stratégies d’action nationales et internationales. Au-delà des nombreuses et considérables opérations militaires, les autorités maliennes, accompagnées de leurs partenaires internationaux, doivent poser des actes concrets pour répondre aux urgences en matière de protection des populations civiles, de lutte contre l’impunité, de gouvernance et de soutien humanitaire. »
Mabassa Fall, représentation de la FIDH auprès de l’Union africaine
Les organisations appellent à nouveau et de toute urgence à un sursaut de la part des autorités de la Transition en faveur de la protection des populations civiles, face à la recrudescence des violences qui les ciblent et font d’elles les premières victimes du conflit depuis plus de dix ans.