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10 décembre 2021

Les dirigeant-e-s de la communauté afro-descendante de la rivière Anchicayá à Buenaventura, en Colombie, ont reçu le « Prix national des droits humains » pour leurs vingt ans de démarches judiciaires visant à assurer la défense de leur territoire. Cette reconnaissance bien méritée, reçue en octobre dernier, vient renforcer les revendications de la communauté pour ses droits à habiter son territoire et pour la reconnaissance des dommages causés à la rivière par un mégaprojet.

 

En juillet 2021, la communauté et son avocat, Germán Ospina, ont été notifié-e-s de l’arrêt du Conseil d’État, (la plus haute autorité en matière de droit administratif en Colombie) dans leur dossier. L’arrêt, bien qu’il reconnaisse l’indemnisation qui aurait dû être versée à la communauté, ignore plusieurs éléments ayant été prouvés tout au long de la procédure. Par exemple, les montants attribués pour les réparations individuelles et collectives, les dommages moraux, ainsi que des dommages à la santé et à la vie des membres de la communauté ont été omis.

 

Contexte général de l’affaire

 

En 2001, la communauté afro-descendante d’Anchicayá est touchée par le déversement de sédiments toxiques piégés dans le barrage de la rivière Anchicayá, à côté de laquelle elle réside. La catastrophe est provoquée par une action conjointe d’une compagnie d’énergie et des institutions publiques responsables, paradoxalement, de la protection de l’environnement. Depuis, la communauté rappelle et affirme sans relâche: «ils ont tué notre rivière».

 

En 2009, la communauté obtient la reconnaissance judiciaire des dommages causés par l’entreprise, en collusion avec l’entité étatique qui était censée superviser ses actions. L’entreprise et le gouvernement sont alors contraints de payer une somme d’argent pour les dommages causés par le déversement de sédiments toxiques dans la rivière Anchicayá. À ce stade de la procédure, la communauté était sur le point d’obtenir une certaine justice pour les dommages subis.

 

Toutefois, l’indemnisation obtenue en justice a été retardée par une série d’actions administratives, si bien qu’elle ne s’est toujours pas concrétisée à ce jour.

 

Défense du territoire : la rivière et la communauté ne font qu’un

 

La population d’Anchicayá habite le territoire en symbiose avec la rivière. C’est du fleuve qu’elle tire sa subsistance alimentaire et économique, issue de l’activité ancestrale de la pêche. Cette relation de dépendance a permis à la population d’Anchicayá d’acquérir une connaissance accrue des débits, des affluents, des courants et des sites de pêche, ainsi que les espèces qui y vivent. La rivière est un élément fondamental des activités quotidiennes et récréatives de ce peuple. Plusieurs aspects de sa culture en tirent d’ailleurs leurs racines (danses, instruments, alabaos, etc.) et sont reconnus comme patrimoine immatériel de la nation par le Conseil national du patrimoine.

 

De même, le fleuve lie la communauté au centre urbain de Buenaventura, le principal port du pays, ce qui lui permet de participer aux réseaux commerciaux. Pour la communauté, la « mort de la rivière » signifie l’impossibilité de subsister tant physiquement que culturellement. En raison des dommages qui lui ont été causés par l’entreprise et de la complicité de l’État, la communauté d’Anchicayá est passée par un processus difficile de déracinement, de déplacement et de pauvreté durant lequel plusieurs de ses besoins humains fondamentaux n’ont pas été satisfaits.

 

Les demandes de la communauté d’Anchicayá – comme l’a dit l’un de ses dirigeant-e-s – vont bien au-delà de « l’argent, bien que ce soit nécessaire pour la communauté, mais ce dont il est question ici, c’est d’affirmer notre dignité ».

 

Le rôle d’Avocats sans frontières Canada (ASFC)

 

ASFC accompagne le dossier depuis 2013. Depuis, elle a soumis une série d’amicus curiae aux hautes cours colombiennes. ASFC a également assisté aux visites de l’ombudsman de la Colombie sur le territoire de la communauté d’Anchicayá, aux côtés de la communauté et de son avocat. De même, ASFC a participé aux audiences publiques tenues au Congrès de la République et aux forums de commémoration sur l’affaire, des initiatives qui sont nées de la communauté et de son avocat.  Devant des actions cherchant à utiliser le droit pénal pour intimider l’activité judiciaire de l’avocat Germán Ospina, ASFC a présenté des lettres aux institutions colombiennes concernées pour exprimer sa préoccupation.

 

Dans un avenir immédiat, ASFC prépare un amicus curiae qui sera présenté à la Commission interaméricaine des droits de l’homme.