• Publications

7 mai 2024

Quartier Morin, Département du Nord, 2021.

Télécharger la publication

 

Ce rapport, rédigé en collaboration par l’Institut interuniversitaire de recherche et de développement (INURED) et Avocats sans frontières Canada (ASFC), poursuit deux objectifs principaux. Le premier est de présenter les conséquences, tant sur le plan juridique, physique, psychologique et économique en Haïti sur les Haïtien.ne.s qui ont été affecté.e.s par cette maladie, à partir des témoignages de ces dernier.e.s. Le second est d’analyser, à la lumière des faits et données recueillis, la responsabilité de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et de l’État haïtien à l’égard des violations des droits humains qui ont découlé de l’introduction du choléra en Haïti. Le rapport vise également à proposer aux autorités compétentes des pistes d’intervention de nature à réparer les violations identifiées dans le rapport.

 

Plusieurs expert.e.s ont confirmé que le choléra a été introduit en Haïti par un bataillon de Casques bleus népalais de la MINUSTAH en octobre 2010. Ce bataillon aurait provoqué la propagation de la maladie en rejetant ses eaux usées contaminées dans un affluent du fleuve Artibonite qui représente la principale source d’eau d’une grande partie de la population haïtienne. Selon les données recueillies, entre 2010 et 2018, l’épidémie de choléra qui a été causée au départ par ce déversement a entraîné près de 10 000 décès et de 820 000 infections.

 

En dépit de l’Accord de siège conclu entre l’ONU et l’État haïtien de 2004 qui prévoyait la possibilité de mettre sur pied une Commission permanente des réclamations, celle-ci n’a toujours pas été créée. Malgré les preuves concluant que l’ONU est responsable de l’introduction du choléra en Haïti, aucune mesure de réparation satisfaisante n’a encore été instaurée. En 2016, le Secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon a offert ses excuses formelles pour l’introduction du choléra en Haïti, mais n’a cependant pas reconnu la responsabilité juridique de l’ONU dans les violations des droits humains engendrées par l’épidémie.

 

Afin d’analyser les conséquences de l’épidémie et de donner une voix aux victimes, une enquête quantitative a été réalisée par INURED auprès de 884 ménages entre mai et juin 2021, en plus d’une étude qualitative constituée de 39 entretiens et de 16 focus groups entre juin et juillet 2021. Ces deux enquêtes ont été réalisées dans les départements du Nord, de l’Artibonite, du Centre, de la Grande-Anse et de l’Ouest. Les données recueillies démontrent que hormis les nombreux décès qui peuvent lui être imputés, l’épidémie a fait plusieurs autres victimes, qui ont subi des violations telles que: de la stigmatisation par leur communauté, des conflits familiaux non résolus et des impacts sur le plan financier. L’accès à l’alimentation, au logement et à l’emploi a aussi été ébranlé par l’épidémie, principalement en raison de ses impacts financiers sur les ménages. De plus, le choléra a contribué à exacerber des inégalités socio-économiques préexistantes en fragilisant l’autonomie financière des femmes et a augmenté la vulnérabilité des enfants en les privant, dans le cas de la mort de leurs parents, d’encadrement et de liens familiaux.

 

Ce rapport permet également d’identifier les besoins et attentes des victimes ainsi que leur niveau de satisfaction à l’égard des réponses à l’épidémie offertes par l’ONU et l’État haïtien.

 

Selon la majorité des répondant.e.s, une assistance sous forme individuelle serait mieux adaptée à leurs besoins. La majorité des répondant.e.s considère d’ailleurs que cette assistance devrait avoir comme objectif principal d’améliorer leurs conditions de vie. Selon les victimes, la priorité devrait être accordée aux interventions en matière de santé, d’eau, d’assainissement et d’hygiène.

 

Enfin, ce rapport offre une analyse juridique basée sur les données récoltées dans le cadre de l’enquête auprès des victimes. Cette analyse a permis de conclure à la responsabilité de l’ONU et de l’État haïtien pour plusieurs violations des droits humains engendrées par l’épidémie de choléra en Haïti.

 

D’abord, l’ONU a violé des droits civils et politiques aussi fondamentaux que le droit à la vie, en raison de sa gestion insouciante du traitement des eaux usées du camp des Casques bleus népalais, en omettant d’instaurer des mesures de prévention et en ne mettant pas suffisamment en place des mesures de lutte contre l’épidémie. Le droit à la dignité a également été violé à travers les conditions de vie imposées aux Haïtien.ne.s suite à l’introduction de l’épidémie de choléra.

 

Les actions et omissions de l’ONU ont également engendré des violations des droits socio-économiques, dont le droit à la santé, à travers le défaut d’adoption de mesures non discriminatoires à l’égard des populations rurales et isolées et par un manque de prévention durant l’installation du camp du bataillon népalais de la MINUSTAH. Le droit à l’eau a également été violé, puisque l’ONU a manqué de diligence dans l’assainissement des eaux usées de la MINUSTAH et une violation au « principe de ne pas nuire » à des « terrains écologiquement sensibles ». Finalement, l’ONU a porté atteinte au droit à un environnement sain en polluant des cours d’eau haïtiens par la MINUSTAH et par le fait même, en diffusant du choléra.

 

Finalement, l’ONU a cherché à camoufler sa responsabilité dans l’introduction de l’épidémie et refuse, encore à ce jour, de porter l’affaire devant un organe compétent qui permettrait d’indemniser les victimes. Ce faisant, l’ONU a violé les droits à la vérité et à une juste réparation.

 

L’ONU a manqué à ses obligations internationales, et ce, à plusieurs égards. Tout d’abord, celle-ci a tenté de dissimuler sa responsabilité et a prétendu que son immunité lui permettait de se déresponsabiliser à l’égard des victimes, bien que cela soit prohibé par le droit international. Celle-ci a également omis de mettre sur pied la Commission permanente des réclamations tel que le prévoit l’Accord de Siège, tout en ne reconnaissant qu’une responsabilité symbolique.

 

L’État haïtien a également violé ses obligations à l’égard des victimes à la lumière du droit international. En effet, il a violé l’obligation d’accès aux services de santé inhérents au droit à la vie en ne permettant pas à toutes les victimes du choléra de pouvoir jouir de soins, notamment en raison de la faible disponibilité de ceux-ci dans les milieux ruraux. De même, il a fait défaut d’adopter des mesures positives pour offrir équitablement des soins de santé aux populations des milieux ruraux et isolés, violant son obligation de non-discrimination en lien avec le droit à la santé. D’autre part, sa responsabilité internationale est engagée pour avoir manqué à son obligation de supervision des services d’assainissement, laquelle aurait pu prévenir la contamination des eaux et l’épidémie de choléra.

 

À la suite de ces analyses, ASFC exhorte:

 

1. L’ONU à reconnaître sa responsabilité juridique dans l’introduction du choléra en Haïti et les violations des droits des victimes qui en ont découlé;
2. L’État haïtien à demander à l’ONU la mise en place de la Commission permanente des réclamations prévue par l’Accord de Siège, dans les plus brefs délais;
3. L’ONU à mettre en place la Commission permanente des réclamations prévue par l’Accord de Siège;
4. L’ONU à tenir compte des priorités des victimes dans l’octroi des réparations, en particulier celles spécifiques aux personnes en situation de vulnérabilité, telles que les femmes et les enfants; et,
5. L’État haïtien à prendre les mesures nécessaires pour assurer l’effectivité des droits fondamentaux des haïtien.ne.s.