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19 juin 2025

Chaque année depuis 10 ans, le 19 juin est dédiée à la lutte pour l’élimination de la violence sexuelle en temps de conflit. Cette journée est une manière de rappeler une réalité encore présente, et pourtant peu abordée.

 

Cette date a été choisie par l’ONU pour commémorer le 19 juin 2008, jour où le Conseil de sécurité a déclaré que la violence sexuelle pouvait être utilisée comme arme de guerre, et qu’elle constitue un obstacle à la consolidation de la paix, en adoptant la résolution S/RES/1820(2008).

 

Qu’est-ce que la violence sexuelle en temps de conflit ?

 

La violence sexuelle en temps de conflit est un type de violence sexuelle dont l’exécution a été motivée par l’existence d’un conflit en cours. Elle comprend notamment le viol, la grossesse forcée, le mariage forcé, ainsi que toutes autres formes de violence ayant un lien direct ou indirect avec un conflit.

 

Dans ce cadre, la violence sexuelle est utilisée comme une tactique de guerre, pour entre autres, terroriser, humilier, assouvir, soumettre l’armée ou la population ennemie. Elles sont l’expression exacerbée des inégalités de genre qui existent déjà en temps de paix.

 

L’ampleur de la violence sexuelle en temps de conflit est largement sous-estimée

 

Il est estimé que pour 1 cas de viol reporté aux autorités dans le cadre d’un conflit, il y en a 10 à 20 qui ne le sont pas. Et cette estimation est elle-même sous-évaluée.

 

La persistance du tabou entourant les violences sexuelles rend les dénonciations difficiles. Notre conseillère juridique Mathilde Doucet, explique que le contrecoup et « l’effet radioactif » que peuvent entraîner une dénonciation contre la victime et son entourage limite sa capacité à dénoncer. La peur de faire l’objet de stigmatisation, de représailles, de menaces, ou les normes sociales discriminatoires sont tant de facteurs qui restreignent la dénonciation de la violence sexuelle.

 

Le manque d’information, l’accès aux services judiciaires et le coût des démarches constituent, dans certains contextes, des freins importants à la quête de justice des victimes de violence sexuelle. La dénonciation de ce type de violation des droits humains nécessite des institutions qui favorisent une approche basée sur les besoins spécifiques des victimes afin qu’elles puissent accéder à la justice tout en évitant de les retraumatiser.

 

La dénonciation de violence sexuelle est d’autant plus rare en temps de conflit puisque la survie et les besoins essentiels et sécuritaires priment sur le besoin de justice immédiat.

 

Les limites de la justice en matière de droit de la guerre

 

Les Conventions de Genève, textes qui constituent le fondement du droit international humanitaire (ou droit de la guerre) contemporain, avaient une définition limitative de la violence sexuelle, puisqu’au-delà du viol, les textes visaient seulement la prostitution forcée, l’atteinte à l’honneur, et les attentats à la pudeur (Convention de Genève IV, art.27).

 

Aujourd’hui, grâce à l’évolution de la jurisprudence et aux revendications féministes, toutes les formes de violences sexuelles sont réprimées par le droit international humanitaire, et il est maintenant établi par le droit qu’elles peuvent constituer des actes de torture.

Cependant, le droit international comporte également ses limites. À savoir qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de tribunal spécialement dédié à faire respecter le droit de la guerre, cette compétence relevant partiellement de la Cour pénale internationale.

 

La Cour pénale internationale a effectivement pour mandat de poursuivre les crimes de guerre, c’est-à-dire les infractions aux lois et coutumes de la guerre. Toutefois, elle agit en complément de la justice nationale et ne peut intervenir que si les Cours nationales ne peuvent ou ne veulent pas juger les coupables. Cela peut arriver par exemple si la victime estime que le jugement pourrait être biaisé, ou que la justice nationale n’aurait pas les capacités de mener le jugement à bien.

 

Mais pour notre conseillère juridique Mathilde Doucet « Il ne suffit pas que les agresseur.se.s soient condamné.e.s pour que les personnes victimes obtiennent justice, ce n’est qu’une première étape ». Il faut également que les jugements soient exécutés, et que les victimes obtiennent réparation pour les dommages multiples qu’elles ont subis.

 

Pour en savoir plus sur la lutte contre l’impunité des crimes internationaux : https://asfcanada.ca/medias/avenir-droit-international-impunite-crimes-internationaux/

 

La justice transitionnelle, une bonne voie d’action ?

 

« Souvent dans les tribunaux, la vérité qui ressort est celle du droit, mais elle ne correspond pas forcément à la vérité factuelle », estime Mathilde Doucet. « Une approche holistique qui prendrait en compte la réintégration économique, sociale ou encore les soins médicaux est très pertinente dans ces cas-là. ».

 

La justice transitionnelle se concentre sur la reconnaissance, la responsabilisation et la réparation des victimes.

 

Au Mali, la Commission vérité justice et réconciliation est un exemple marquant : plusieurs milliers de personnes victimes de graves violations, dont de la violence sexuelle en temps de conflit, ont pu être entendues. Sur la base de conclusions tirées de ces audiences, de nombreuses recommandations ont été transmises au gouvernement malien, incluant la nécessité de renforcer l’implication des victimes et le dialogue, de prioriser la recherche de vérité ainsi que la lutte contre l’impunité.

 

En octobre 2022, une loi sur les réparations en faveur des victimes de violations graves des droits humains des différents conflits et crises qui ont secoué le Mali a été adoptée.

 

Les personnes de la diversité sexuelle et de genre sont particulièrement à risque de violence sexuelle en temps de conflit

Les risques que courent les personnes de la diversité sexuelle et de genre sont disproportionnés en temps de conflit, du fait de leur orientation sexuelle ou identité de genre.

 

Les formes de violence sont spécifiques, et sont motivées par l’orientation sexuelle ou de genre de la victime : cela peut être des mariages forcés pour les femmes lesbiennes, des viols punitifs, de l’esclavage sexuel, notamment.

 

La dénonciation des violences à caractère transphobe ou homophobe est encore plus rare, notamment parce qu’il y a encore beaucoup de pays dans lesquels l’homosexualité est criminalisée. « Si un homme avoue avoir été violé par un autre homme, il peut être arrêté » déplore Mathilde Doucet.

 

Comment ASF Canada agit pour la reconnaissance des victimes de violence sexuelle en temps de conflit

 

Dans le cadre de la Commission Vérité et Réconciliation, dans lequel ASF Canada a participé, plusieurs milliers de victimes ont pu exprimer leurs attentes et besoins en matière de justice transitionnelle. Ces entretiens ont permis de récolter des informations précieuses sur la nature des violences subies lors du conflit au Mali en 2012, dont la violence sexuelle.

 

ASF Canada a participé au renforcement des capacités d’organisations la société civile, a formé des enquêteur.rices sur le terrain et a accompagné 388 personnes sur les plans psychologique et médical afin de limiter de nouveaux traumatismes.

 

ASF Canada a transmis de nombreuses recommandations afin de mettre en place des mécanismes de justice et de réparation respectueux des droits fondamentaux des victimes et conformes aux obligations nationales et internationales du Mali.

 

En Colombie, un travail de sensibilisation sur les droits des femmes auprès de 1700 victimes de violences basées sur le genre pendant le conflit armé colombien. Ce projet a également accompagné la représentation juridique de 46 femmes, et 30 d’entre elles ont pu obtenir un verdict favorable à leur cause. Près de 700 fonctionnaires colombiens ont été sensibilisés sur les enjeux de violences basées sur le genre.

 

Pour en savoir plus :

 

De la guerre à la réconciliation: réinsérer les femmes démobilisées en Colombie

Justice, paix, vérité et réconciliation au Mali